Les noms des villages arméniens disparus lus à Istanbul
Info Collectif VAN
- www.collectifvan.org – Le Collectif VAN vous propose la traduction de Gilbert
Béguian d'un article en anglais d'Ayse Gunaysu publié sur le site Asbarez et mise
en ligne sur le site de NAM ( Nouvelles d'Arménie Magazine) le 5 mai 2013.
NAM
Les noms des villages
arméniens disparus lus au square Sultanahmet, par Ayse Gunaysu
Asbarez
Par Ayse Gunaysu
25 avril 2013
Istanbul- Nous sommes le 24 avril 2013, square Sultanahmet à
Istanbul. Des personnes se sont réunies devant le Musée des Arts Islamiques de
Turquie qui en 1915, servait de prison et où furent détenus les intellectuels
arméniens avant qu’ils ne soient pas envoyés à la mort. Mais quelque chose de
très inhabituel se passe. On entend, annoncés dans un haut-parleur, des noms
arméniens. Ce sont les noms de villages arméniens. La voix dit : “ Province du
Vaspouragan... Avants...
Lezk... Shabaghi... Akhzia... Shoushants... Kouroubash... Gentanants...
Pertag... Dzevestan... Ardamed... Tarman... Vosgepag... “
Il y a sur les murs de grands panneaux portant ces noms et
les provinces ou les districts auxquels ils se rapportent. Des gens arrivent et
prennent des photos. Je reconnais quelques uns d’entre eux, Arméniens venus de
l’étranger en délégation pour visiter Istanbul au cours des cérémonies de
commémoration, prenant des photos de ces noms d’une province en particulier. Je
devine que ce sont les provinces de leurs ancêtres.
Eren Kerskin commence à parler tandis que le son et les voix
s’atténuent.
“ Ces noms que vous entendez à présent sont les noms de
villages arméniens d’Asie mineure avant 1915, ainsi que celui des provinces et
des districts auxquels ils appartiennent - au total 2 300 localités. En fait,
il y en a d’autres. Le travail de compilation des noms de toutes les localités
arméniennes avant le Génocide est toujours en cours. Notre invité, l’historien
Ara Sarafian, directeur de l’Institut Gomidas de Londres, vous donnera plus de
détails sur ce travail.
“ Les noms que vous entendez en ce moment constituent la
preuve tangible du Génocide. Les communautés arméniennes qui vivaient dans ces
villages ont été anéanties. Ils ont changé ces noms. Quelques uns d’entre eux
ont été purement et simplement rayés de la carte, d’autres ont servi à de
nouveaux occupants. “ Nous avons voulu que ces noms résonnent dans nos
oreilles. Nous avons voulu qu’ils pénètrent profondément dans nos âmes. Ici,
sur ces panneaux, vous pouvez les voir. Vous pouvez vous approcher et les lire
un par un. Ce sont des communautés arméniennes disparues. Nous voulons que le
peuple turc se rappelle ces noms et ne les oublie jamais “.
Le volume augmente à nouveau, et nous écoutons les noms des
villages disparus pendant encore cinq minutes.
Quand la mort est une
délivrance
Keskin continue, “ Le Génocide a mis fin à l’existence de la
société des Arméniens et d’autres peuples chrétiens de ce qui est à présent la
Turquie, n’en annihilant pas seulement leur vie, mais aussi leurs institutions,
leurs organisations sociales et culturelles, leur héritage national, leur
civilisation, jusqu’aux traces même de leur existence.
“ Un génocide, ce n’est pas seulement un massacre. Un
génocide, c’est la déshumanisation des personnes au point que la mort devient
pour eux une délivrance, qu’ils la désirent pour mettre un terme à leurs
souffrances. Mais le génocide, ce n’est pas seulement condamner des gens à être
soumis à des conditions inhumaines. C’est aussi un énorme pillage, un vol à
grande échelle des richesses créées pendant des générations par le talent et le
dur labeur.
“ Et le génocide continue encore de nos jours. Il continue à
travers sa négation. Il continue avec les mensonges cyniques et éhontés jetés à
la face des gens. Il continue avec la haine et l’hostilité dirigée contre les
Arméniens et les autres non-Musulmans de Turquie. Il continue en terrorisant
les Arméniens à Samatya par les attaques brutales de vieilles Arméniennes, les
enfants de survivants du Génocide. Il continue avec cet environnement qui
empêche les Arméniens de se sentir en sécurité en Turquie. Une démonstration
dramatique a eu lieu avec Sevag Sahin Balikci, abattu à Batman, en Turquie,
alors qu’il faisait son service militaire dans les forces armées turques, le 24
avril 2011, jour de la commémoration du Génocide arménien, et le jour où la
justice a jugé que c’était un accident.
“ Nous, les défenseurs des droits humains, nous le répétons
une fois encore : reconnaissez officiellement le Génocide ! C’est un appel au
gouvernement de la République de Turquie, et aussi au public turc. Rendez les
propriétés saisies pendant et après le Génocide aux descendants de leurs
propriétaires. Réparez tous les dommages matériels et immatériels qui ont été
faits. Reconnaissez les droits des Arméniens dispersés à travers le monde -
leur droit légitime à leur patrie !
“ Sans reconnaissance du Génocide, sans confrontation avec
les crimes commis, pas de paix, pas de démocratie réelle, pas de justice
possible dans ce pays.
“ Refuser de reconnaître ce Génocide est une confirmation
que d’autres génocides sont possibles.
Nous demandons en conséquence une fois de plus que les
autorités turques mettent un terme à la négation du génocide ! Nous voulons que
JUSTICE soit faite ! “
Ara Sarafian s’est ensuite exprimé en arménien, avec
traduction simultanée en turc par un jeune Arménien, membre du groupe socialiste
arménien Nor Zartonk. Il a parlé de la vanité de la négation du Génocide, en
face des simples faits, il a parlé du nombre croissant de gens qui se joignent
à la commémoration du Génocide en Turquie, de sa visite à Diyarbakir et de ses
rencontres avec les personnes là-bas - de la vérité que beaucoup y connaissent
à propos du Génocide, et comment l’un d’entre eux a parlé de la façon dont son
grand-père avait pris part aux massacres.
Le “Seyfo“ commémoré
publiquement pour la première fois
Pour la première fois, le Seyfo, le Génocide assyrien, a été
mentionné dans les commémorations en Turquie, et pour la première fois un
Assyrien, représentant la Fédération des Jeunes Assyriens de Suède, a fait un
discours lui-aussi. Évoquant le présent “ processus de paix “ en Turquie qui
pourrait mettre fin à la guerre entre l’armée turque et le PKK, il a dit : “ A
notre déception, ces crimes contre l’humanité commis sur les peuples anciens
d’Anatolie ont été constamment niés par tous les gouvernements jusqu’à ce jour.
Il est clair que la recherche de la paix actuelle sera vaine sans une
confrontation avec le passé. Un état de paix fondé sur la foi et sur la
religion laisserait pendre une épée de Damoclès sur divers peuples, comme cela
était le cas au cours des événements du passé. Une paix réelle n’aura de sens
que dans la mesure où elle sera construite non pas sur une foi commune mais sur
les valeurs de l’humanité “. Son discours était traduit en langue assyrienne
par l’un de ses amis. C’était la première fois que l’assyrien était entendu par
les personnes réunies pour la commémoration du Génocide.
Le co-président de l’organisation d’Istanbul du Parti Kurde
pour la Paix et la Démocratie a fait ensuite un discours, reconnaissant la part
prise par les Kurdes dans le Génocide. “ Comme Kurde et comme responsable
politique kurde, je demande encore et encore pardon aux Arméniens et aux
Assyriens pour le rôle que les Kurdes ont tenu dans le Génocide “ a-t-il
déclaré.
Une autre personnalité kurde, le propriétaire de la maison
d’édition Peri qui publia un livre sur Antranig Pacha, a dit dans son discours
condamner ceux des Kurdes qui ont coopéré avec le gouvernement central et qui
ont pris part aux massacres et au pillage du patrimoine arménien.
Un communiqué de presse du Nor Zartonk a également été lu
par un jeune Arménien membre de ce groupe.
Une délégation internationale était elle aussi venue à
Istanbul cette année dans le cadre du programme développé ensemble par
l’association turque “ Dire non au Racisme et au Nationalisme “ (Durde), et par
les Militants Européens du Mouvement Contre le Racisme (EGAM) et l’UGAB. Le
président de l’EGAM, Benjamin Abtan a fait une courte déclaration exprimant la
solidarité de son association avec la lutte contre le négationnisme en Turquie.
Après la commémoration, la délégation et les participants à
la manifestation se sont rendus au Cimetière Arménien de Sisli et sur la tombe
de Sevag Sahin Balikci.
Avant la commémoration place Sultanahmet, Ara Sarafian, en
compagnie d’autres personnes, s’était rendu sur la tombe d’Ali Faik Bey
(Ozansoy), gouverneur de Kutahya qui avait refusé d’obéir à l’ordre de
transfert forcé donné par le gouvernement central et y avait protégé les
Arméniens.
A 18h30, la manifestation de Durde a commencé sur la place
Taksim. Ils étaient plus nombreux - au nombre de 1 000 environ - qu’à
Sultanahmet, où ils étaient environ 200. De la musique arménienne était jouée
pendant la manifestation, et des extraits des mémoires d’un certain nombre
d’intellectuels arméniens arrêtés le 24 avril 1915 ont été lus, et un
communiqué de presse a été lu, condamnant le Génocide.
Commémoration à
Diyarbekir
Diyarbekir et la seule ville en Turquie qui reconnaît
officiellement et publiquement le Génocide arménien. “ Les deux manifestations,
celle accueillie par l’Association des Membres du Barreau de Diyarbekir et la
commémoration organisée par la municipalité par le maire Osman Baydemir, ont
été très impressionnantes et productives “, a déclaré Sarafian. La
commémoration a eu lieu sur le pont du fleuve Tigre, là où les Arméniens ont
été massacrés. Les participants ont envoyé des fleurs dans la rivière en mémoire
des victimes. Sarafian a été profondément ému pas seulement par la sincère
volonté de la municipalité, par le maire Baydemir avant tout, mais aussi par la
volonté spontanée des Kurdes de faire face à la vérité. “ Nous ne devons pas
considérer comme vaine la promesse de Osman Baydemir d’ouvrir largement la
porte aux Arméniens, et il nous faudra trouver des moyens nouveaux pour
renforcer ces liens avec Diyarbekir et pour transformer ces possibilités en
réalité “, a-t-il déclaré.
Par Ayse Gunaysu
Article en anglais :
dimanche 5 mai 2013,
Stéphane ©armenews.com
Traduction Gilbert Béguian
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