Déclaration turque à l'APCE : de multiples zones d'ombre
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org – Ertuğrul Kürkçü, député du BDP à
Mersin, représentant turc au sein du Groupe pour la gauche unitaire
européenne, a pris la parole le 25 avril lors de la dix-septième séance de l'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe. Son intervention, une première dans ce cadre, peut être interprétée
de diverses manières. Certains y voient une demande visant à " faire la lumière sur le génocide
arménien". En décryptant plus attentivement sa prise de parole, il est
cependant nécessaire de relever que le député turc n'a jamais utilisé le terme
de "génocide". Il parle en premier lieu des "événements"
qui se sont produits en "Arménie" en 1915 : sauf à considérer que
l'Anatolie faisait partie de l'Arménie (ce qui était effectivement le cas avant
l'arrivée des Turcs au XIe siècle...), cette définition masque la
responsabilité de l'Empire ottoman qui a exterminé ses propres citoyens, en
Turquie, à l'ombre de la Première Guerre mondiale, ce qui constitue un génocide
et non des "événements". D'autre part, le seul chiffre mentionné est
celui de "40 000 personnes", dont la déportation a été un
"prélude à la déportation par la force des Arméniens". Tant qu'à
mentionner un seul chiffre, celui des 1 500 000 victimes arméniennes aurait été
plus approprié.
M. Kürkçu exprime ses "condoléances aux petits-fils et aux petites-filles du Medz Yeghern, le « Grand Mal » – c’est le nom que lui donnent les Arméniens –, qui fut un crime atroce contre l’humanité." Rappelons que cette terminologie de Medz Yeghern est employée depuis 2008 presqu'exclusivement par ceux qui veulent éviter la définition juridique de "génocide", et donc certainement pas par les Arméniens dans leur immense majorité. Plus inquiétant, le député parle de réconcilier "les Kurdes, les Turcs et les Arméniens" en précisant que "Tous ont souffert des massacres, des atrocités, des déportations – tous ces maux ayant été causés principalement par le partage artificiel des zones d’influence entre les grandes puissances aux XIXe et XXe siècles". Cette théorie visant à mettre sur le même plan les souffrances des assassins et des victimes est carrément problématique, car c'est celle utilisée par de nombreux négationnistes. Sans compter qu'encore une fois, la responsabilité du génocide n'est pas imputée aux dirigeants turcs du Comité Union et Progrès (au premier rang desquels Talaat Pacha, le "Hitler" turc), mais aux grandes puissances.
Enfin, Ertugrul Kürku affirme que "Hier, dans toute la Turquie, notamment à Istanbul et à Izmir, des milliers de Turcs, de Kurdes et d’Arméniens, petits-fils des agresseurs comme des victimes, sont descendus dans la rue pour manifester tous ensemble et commémorer ce massacre". Vraiment ? Pourquoi ne pas préciser que, pour la première fois en Turquie, des mots-d'ordre unitaires ont été lancés sur la base des commémorations du "génocide arménien" et non des massacres, ou du Medz Yeghern ? Se pourrait-il que les acteurs de la société civile en Turquie soient plus avancés dans leur travail de mémoire que leurs représentants qui s'expriment dans un cadre politique européen ? A moins que ce ne soit l'Article 301 du Code pénal turc, punissant de deux ans de prison toute atteinte à l'identité turque, qui freinerait la volonté du député turc ? Et si oui, comment se fait-il que le représentant du BDP à la commémoration organisée par l'IHD à Sultanahmet (Istanbul), ait utilisé à plusieurs reprises le terme de "génocide" sans craindre à Istanbul ce que son homologue risquerait à Strasbourg ? Quoiqu'il en soit, prenons le parti de considérer cette déclaration a minima de Ertuğrul Kürkçü comme un pas positif vers un futur plus concret. L'avenir dira ce que le député entend par "une ère de débats sur le passé sans préjugés et sans haine". Comme il ne peut s'agir de débattre si le génocide a eu lieu ou non, le député du BDP parle très certainement d'éduquer la société kurde et turque... Le Collectif VAN vous invite à lire la déclaration de Ertuğrul Kürkçü, député du BDP à Mersin prononcée lors de la dix-septième séance de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
SESSION ORDINAIRE DE 2013
________________
(Deuxième partie)
COMPTE RENDU
de la dix-septième séance
Jeudi 25 avril 2013 à 15 h 30
La séance est ouverte à 15 h 35 sous la présidence de M. Mignon, Président de l’Assemblée.
Annonce de M. LE COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME : "Je me
rendrai bientôt dans le sud du Caucase puis, à la fin du mois de mai, en
Azerbaïdjan et, enfin, en Arménie, dans le cadre de la préparation de la
présidence du Conseil de l’Europe par ce dernier pays."
3. Débat libre
LE PRÉSIDENT – La parole est à M. Kürkçü, au nom du
Groupe pour la gauche unitaire européenne.
M. KÜRKÇÜ (Turquie)* – C’était hier le 98e
anniversaire des événements qui se sont produits en Arménie. Je pense bien sûr
à l’arrestation d’Arméniens sur ordre du gouvernement turc. Très rapidement,
près de 40 000 personnes ont été arrêtées ; toutes ont
perdu la vie en Anatolie centrale où elles ont été déportées sans la moindre
décision de justice. Ce fut le prélude à la déportation par la force des
Arméniens dans les déserts de Syrie, sous prétexte de mesures de
contre-insurrection. Tous ces convois de femmes, d’enfants et de personnes
âgées ont été envoyés vers le néant. L’Anatolie orientale s’est ainsi retrouvée
vidée de sa population ; des dizaines de villes ont été décimées et ont
perdu leurs capacités productives.
Je voudrais exprimer, au nom de mon groupe, nos condoléances aux
petits-fils et aux petites-filles du Medz Yeghern, le « Grand
Mal » – c’est le nom que lui donnent les Arméniens –, qui fut un
crime atroce contre l’humanité. Malgré tous les obstacles officiels, nous
sommes déterminés à faire en sorte que les faits historiques concernant ce
massacre soient révélés publiquement. Il faut assurer la liberté de parole et
de conscience en Turquie. C’est essentiel pour que les nouvelles générations
soient débarrassées de ce fardeau, qu’elles soient ouvertes au dialogue et
qu’elles trouvent des moyens nouveaux de réconciliation pour développer la
fraternité entre les Kurdes, les Turcs et les Arméniens. Tous ont souffert des
massacres, des atrocités, des déportations et ont causé l’exil – tous ces maux
ayant été causés principalement par le partage artificiel des zones d’influence
entre les grandes puissances aux XIXe et XXe siècles.
Hier, dans toute la Turquie, notamment à Istanbul et à Izmir, des
milliers de Turcs, de Kurdes et d’Arméniens, petits-fils des agresseurs comme
des victimes, sont descendus dans la rue pour manifester tous ensemble et
commémorer ce massacre, non sans trouver un certain écho dans les médias. Je
voudrais saluer ce fait comme le début d’une ère de compréhension mutuelle en
Turquie, d’une ère de débat sur le passé sans préjugés et sans haine.
Nous voudrions aussi exprimer notre souhait que les pourparlers à venir
entre M. Öcalan, le leader du PKK, et les autorités turques aboutissent à
la paix, de façon à ce que la Turquie devienne une véritable démocratie, qui
est source de richesse et non de conflit.
Nota CVAN : KADRİ (ABDÜLKADİR)
AHMET BEY (KÜRKÇÜ), le grand-père de Ertuğrul Kürkçü, avait des fonctions
importantes au début du XXe siècle, mais sa biographie en ligne
ne mentionne rien pour la période 1915/1918.
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home