Le génocide arménien de 1915, du point de vue d’un petit Etat neutre : la Suède
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org – Le Collectif VAN vous invite à lire la traduction de Georges Festa d'un article en anglais de Vahagn Avedian publié sur le site Genocide Studies and Prevention, mise en ligne sur le site Armenian Trends - Mes Arménies le 4 mai 2013.
Armenian Trends - Mes Arménies
Vahagn Avedian : Le génocide arménien de 1915, du point de vue d’un petit Etat neutre : la Suède / The Armenian Genocide of 1915 from a Neutral Small State's Perspective : Sweden
samedi 4 mai 2013
par Vahagn Avedian
Genocide Studies and Prevention, Vol. 5, Number 3, Dec. 2010
[Cette étude présente de
quelle manière les massacres arméniens dans l’empire ottoman, durant la
Première Guerre mondiale, furent perçus par un petit Etat neutre, à savoir la
Suède. La connaissance qu’en eut la Suède revêt un intérêt particulier, dans la
mesure où, Etat neutre durant l’intégralité du conflit, la Suède n’était pas
directement impliquée ou intéressée par le conflit en cours ; chaque rapport
sur ces évènements n’est donc pas susceptible d’être partisan, comparé à ceux
de l’Entente ou des alliés de la Turquie. L’information concernée est par
ailleurs essentielle, si l’on veut comprendre la réaction de la Suède qui
s’ensuivit. Néanmoins, étudier dans sa globalité la masse d’informations
nécessaire pour comprendre et analyser de manière exhaustive la réaction aux
massacres dépasse le cadre de cet article et requiert une étude plus large.
Cette article aborde ainsi la première partie, à savoir recenser l’information
concernée, tandis que l’analyse des réactions, en particulier celles d’un petit
Etat neutre lors d’un conflit global en cours, fera l’objet d’études
ultérieures. L’information examinée dans cette étude montre que l’information
sur les massacres arméniens dans l’empire ottoman était abondante.]
« Voyez ce qui est écrit. Les
premiers à être appelés métèques [svartskallar] furent des mendiants
arméniens. Ils furent expulsés de Suède, car il était interdit de mendier. »
(2) Les mendiants en question étaient des Arméniens survivants des massacres
dans l’empire ottoman.
De nos jours, la république de
Turquie rejette quasiment chaque document d’archive historique présenté par les
puissances de l’Entente, durant la Première Guerre mondiale, y voyant une
propagande de guerre, ayant pour seul objectif de diffamer la Turquie. D’autre
part, les archives turques sur ce sujet sont éludées par les chercheurs sur le
génocide, au motif qu’elles sont peu fiables, relevant d’une opération de
falsification et de dissimulation de la part du gouvernement turc. (3) Cela
dit, il convient de noter que les recherches sur les archives de l’Allemagne et
de l’Autriche, alliées de la Turquie lors de la Grande Guerre, confirment la
version de l’Entente, plutôt que celle de la Turquie. (4) Les observations
d’une nation neutre sur cet événement sont néanmoins susceptibles d’être
exemptes de tout soupçon de parti pris en faveur de telle ou telle partie
prenante du conflit. Une de ces nations fut les Etats-Unis, qui resta neutre
dans le conflit jusqu’en avril 1917. Les rapports et observations établis par
leur ambassade, ainsi que les missionnaires et humanitaires américains à
travers la Turquie, constituent une part importante des données sur les
massacres arméniens, puisque les Américains furent la seule grande puissance
(excepté l’Allemagne et l’Autriche) à être restée en Turquie, après le
déclenchement de la guerre. Leur présence en Turquie, ainsi que leur
neutralité, prit fin en avril 1917, lorsque les Etats-Unis entrèrent en guerre
aux côtés de l’Entente. La Suède, quant à elle, demeura neutre durant tout le
conflit et ses rapports et actions qui s’ensuivirent ne sauraient être imputés
à quelque engagement suédois en faveur de tel ou tel camp en conflit.
L’ambition d’une telle étude
serait d’évaluer dans quelle mesure la Suède eut connaissance des massacres,
quelles alternatives eussent pu être entreprises, quelles furent celles que
choisit la Suède, et pourquoi. Néanmoins, pour mener cette enquête dans les
limites qui lui sont imparties, cet article se focalisera sur le contenu des
rapports, l’information et les analyses qui parvinrent en Suède au regard des
massacres d’Arméniens et du sort de l’Arménie, réservant les trois autres
questions pour des études ultérieures.
La presse
suédoise, les missions chrétiennes, les missions militaires et les rapports de
l’ambassade
Durant la Première Guerre
mondiale, la presse suédoise consacra une place notable aux efforts de guerre,
comme ses homologues dans d’autres pays. Entre autres, un bureau spécial fut
constitué afin d’alimenter les journaux suédois en articles de la presse
allemande. « Une cinquantaine de journaux en furent destinataires, principalement
des publications conservatrices, mais aussi plusieurs titres de la presse
libérale. » (5) Le fait qu’un aussi grand nombre de journaux fut sous influence
allemande a probablement impacté la version rapportée des événements en cours
en Turquie. Afin d’influencer encore plus l’opinion suédoise, l’Allemagne
acheta secrètement la majorité des parts dans les journaux Aftonbladet
et Dagen. Avec un tirage total de 92 000 exemplaires, ces journaux
égalaient la diffusion de leurs confrères Dagens Nyheter et Social-Demokraten,
favorables à l’Entente. (6) Ce qui peut expliquer pourquoi les informations sur
les massacres en Arménie constituèrent un événement relativement réduit dans
les reportages sur le front. Les ressources des journaux suédois ne leur
permettaient pas d’employer leurs propres correspondants étrangers. Ce qui
signifie qu’une grande part des informations concernant les affaires
internationales était obtenue auprès d’agences d’information étrangères, en
colorant souvent le point de vue des reportages. Néanmoins, jusqu’à la prise de
pouvoir par Hitler en Allemagne, la politique étrangère des grands titres
suédois visa moins à influencer l’opinion publique qu’à débattre et proposer
des clés concernant les grands sujets internationaux. (7)
Si l’information publiée par
les journaux constituait un « renseignement de seconde main », obtenu d’agences
d’information étrangères, il existait d’autres sources d’information, plus
fiables, établies par des individus présents en Turquie. Ces documents sont les
rapports et dépêches émanant des missionnaires suédois en Turquie et au
Caucase, de l’ambassadeur de Suède en Turquie et de l’attaché militaire suédois
à Constantinople. Ces documents se trouvent pour l’essentiel dans les Archives
Nationales, mais certains ont été publiés sous forme de Mémoires.
Les matériaux appartenant aux
missionnaires suédois ont été collectés à partir de différentes sources :
opuscules, brochures et ouvrages publiés durant la période 1915-1923, ainsi que
des Mémoires publiés ensuite, qui contiennent des récits de témoins oculaires
et autres sur la période étudiée ; lettres et rapports émanant de missionnaires
sur le terrain, adressés à l’Eglise de Suède, relatifs à l’état des missions,
tout en décrivant la situation de leur paroisse. Ces documents se trouvent aux
Archives Missionnaires, administrées en partie par l’Eglise de Suède et en
partie par les Archives Nationales Suédoises.
Les rapports et signalements
établis par les missionnaires suédois en Turquie et au Caucase remontent à la
fin du 19ème siècle et aux massacres de 1894-1896. (8) Mes recherches dans la
correspondance des missionnaires pour la période 1914-1917 n’ont pas,
toutefois, révélé d’informations particulières. L’étude de ces lettres montre
que leur volume, en particulier en provenance de Turquie, diminue très
sensiblement lors de l’éclatement de la Grande Guerre. Stationnée à Moush, en
Arménie Occidentale, depuis 1910, Alma Johansson, par exemple, envoie environ
deux ou trois lettres par mois en Suède. Durant toute la période 1914-1917,
néanmoins, l’on ne compte que quatre lettres d’elle dans les archives. (9)
Katarina Thurell, archiviste à la Svenska Missionskyrkan [Eglise Evangélique de
Suède], explique que le manque d’informations de la part des missionnaires dans
toute l’Europe, durant la Première Guerre mondiale, est un phénomène courant.
Les raisons sont multiples : la guerre contraignit de nombreux missionnaires à
quitter leurs terres de mission, tout en suscitant des problèmes de
communication ; la rareté de l’information était aussi due à la censure en
temps de guerre et au contrôle exercé sur le flux d’informations. Les lettres
émanant des missionnaires devaient passer par des canaux militaires. Cette
censure avait pour conséquence que les lettres parvenaient plusieurs mois,
sinon plus, après avoir été écrites. Il est probable que certaines ne soient
jamais arrivées à destination. S’il est vrai que les missionnaires allemands et
autrichiens restèrent dans la région jusqu’à la fin du conflit, la censure exercée
par les gouvernements allemand et autrichien au regard de l’effort de guerre en
général et à la réputation de leur allié turc en particulier, interdisait toute
publication de l’information et des observations relayées chez eux par les
missionnaires.
Il existe deux publications,
plus volumineuses, sous forme de brochures, intitulées Blod och tårar :
Armeniernas lidanden i Turkiet [Du sang et des larmes : les souffrances des
Arméniens en Turquie] et Vad en tysk lektor i asiatiska Turkiet upplevde i
1915 [Souvenirs d’un conférencier allemand en Turquie asiatique en 1915].
La première est un recueil de témoignages, de lettres et d’articles émanant de
différents personnels médicaux, de missionnaires, de militaires et de
survivants arméniens, sur les massacres dans l’empire ottoman, ces sources ne
livrant pas toutes une information de première main. La seconde brochure relate
ce que vécut le docteur Martin Niepage, professeur hautement qualifié à
l’Institut Technique Allemand d’Alep. Son article se focalise essentiellement
sur l’information devant être considérée comme plus fiable, excluant de
nombreuses informations transmises de bouche à oreille. Le contenu des deux
brochures livre un aperçu intéressant sur les événements, sous la forme de
témoignages de première main, mais aussi d’analyses sur la manière avec
laquelle ces massacres furent perçus. Figurent, en outre, quelques récits de
témoins oculaires non suédois, traduits et publiés en suédois, inclus dans la
présente étude.
Les rapports, lettres et brochures
des missionnaires suédois constituèrent néanmoins une autre manière de toucher
l’opinion publique, en amenant et en convainquant la population civile suédoise
de contribuer à l’aide et aux collectes humanitaires en faveur des victimes et
des survivants des massacres arméniens. Tout en témoignant du degré de
connaissance des événements par l’Eglise de Suède et de ses priorités d’actions
au regard des massacres, comme des agissements des missionnaires en Arménie
Occidentale.
Si l’on veut approfondir le «
degré de fiabilité » des rapports, leur impact sur le niveau de connaissance
qu’en avait l’Etat suédois et sa base de décision, il existe les rapports des
personnels militaires suédois. Le témoignage militaire suédois le plus
fréquemment cité, utilisé par les négationnistes du génocide arménien, est
celui du major Gustav Hjalmar Pravitz. En réalité, celui-ci était stationné en
Perse, et non dans l’empire ottoman. Pravitz faisait partie de la Mission
militaire suédoise, envoyée en Perse pour améliorer le fonctionnement de la
gendarmerie et de la police. (10) En 1918, Pravitz publia ses Mémoires
intitulés Från Persien i stiltje och storm [Ecrits de Perse, dans la
paix et la tourmente] ; un an plus tôt, toutefois, il publia un extrait du
livre dans le Nya Dagligt Allehanda (11), où il fait cette intéressante
observation : « En général, selon moi, on peut dire qu’une persécution
incessante, fût-elle clémente, est moins supportable à endurer qu’un acte de
despotisme sanglant, mais bref, comme les agressions de ce genre qui, de temps
à autre, attirent l’attention de l’Europe sur la question arménienne. » (12)
Lors de son voyage en Turquie pour atteindre la Perse, Pravitz reconnaît avoir
vu des cadavres et des moribonds, mendiant pour une bouchée de pain, mais, à
une exception près, il ne vit pas les violences présumées, exercées à
l’encontre des « émigrants » arméniens. (13) Il dit aussi avoir rencontré un
Arménien dans un camp de concentration [« koncentrationsläger »], choix
de mots intéressant dans le cadre de cette étude. (14) Pour mettre en
perspective les observations de Pravitz et son interprétation de la situation
des Arméniens, il importe d’étudier aussi son opinion personnelle sur le peuple
arménien. Dans son ouvrage, Pravitz donne son point de vue sur la Perse, les
Persans et les minorités vivant dans le pays. Un grand pan de la première
partie du chapitre 10, intitulé « Mon second voyage en Perse, » dans lequel il
évoque la « Question arménienne, » livre plus ou moins le même contenu que son
article paru dans le Nya Dagligt Allehanda. Par ailleurs, sa description
de l’élément arménien n’est guère flatteuse. Juifs et Arméniens sont présentés
comme des « marchands fourbes » et les Arméniens comme « généralement peu
fiables. » (15) En général, écrit-il, les mesures « sanglantes » du
gouvernement turc envers les Arméniens « déloyaux » sont tout à fait
justifiées, même si des innocents ont aussi souffert. (16) Les parallèles avec
l’argumentaire relatif à la Shoah sont trop frappants pour être ignorés ici.
L’étude des archives
militaires suédoises révèle néanmoins un autre point de vue, totalement opposé,
exprimé par quelqu’un qui fut bien plus proche des événements, à savoir celui
du capitaine Einar af Wirsén (qui deviendra plus tard major), l’attaché militaire
de Suède à Constantinople, de 1915 à 1920. (17) Dans ses Mémoires, Minnen
från fred och krig [Mémoires en temps de paix et de guerre], publiés en
1942, faisant référence à l’humour quelque peu horrible de Talaat, il cite la
réponse suivante que lui fit ce dernier au sujet des massacres arméniens : « Je
lis dans le Times que nous aurions exécuté, autrement dit tué, pas moins
de 800 000 Arméniens. Je vous assure que cela est faux. Ils ne furent que 600
000. » (18) Djémal Pacha se montrait toutefois plus modéré et « désapprouvait
les massacres arméniens. » (19) L’ouvrage se fonde sur le vécu et les souvenirs
de Wirsén, durant ses fonctions en tant qu’attaché militaire dans les Balkans
et en Turquie. L’A. y démontre de manière plus détaillée sa connaissance du
génocide arménien. Bien que publié en 1942, le livre donne un aperçu de la
manière avec laquelle les événements furent interprétés par l’attaché militaire
de Suède en Turquie, lorsqu’ils se produisirent. Dans le chapitre intitulé Mordet
på en nation [« Meurtre d’une nation »], Wirsén retrace brièvement le
contexte de la question arménienne, avant de décrire les atrocités perpétrées
par la gouvernement turc durant la guerre. (20) Il juge discutables les
accusations de collaboration des Arméniens avec les Russes. (21) Les
déportations qui s’ensuivirent ne firent que couvrir l’extermination : «
Officiellement, elles avaient pour but de déplacer la population arménienne
dans son ensemble vers les steppes du nord de la Mésopotamie et de la Syrie,
mais en réalité elles visaient à exterminer [utrota] les Arméniens,
moyennant quoi l’élément turc pur d’Asie Mineure parviendrait à une position
dominante. » (22) Wirsén souligne le fait que les ordres furent donnés avec la
plus grande habileté. Les informations étaient en général transmises
verbalement et dans le plus grand secret, afin de donner au gouvernement les
mains libres dans la mise en œuvre des massacres. (23) Décrivant les méthodes
utilisées pour massacrer les Arméniens et priver les survivants des nécessités
élémentaires, pour qu’ils meurent de faim et de maladie, Wirsén note que «
l’anéantissement de la nation arménienne en Asie Mineure ne peut que révolter
tous les sentiments d’humanité. […] La manière avec laquelle le problème
arménien fut réglé est à faire frémir. Je vois encore devant moi l’expression
cynique de Talaat, soulignant que la question arménienne avait été résolue. »
(24)
Les rapports militaires sont
d’une grande importance, car l’attaché militaire de Suède, en tant que
représentant d’un Etat neutre, était autorisé à se rendre sur les lignes de
front et à collecter des informations sur les campagnes et les agissements en
cours dans l’empire ottoman. Il recevait des rapports émanant des services
secrets militaires, expédiés non seulement par les Turcs, mais aussi par les
Allemands et les Autrichiens servant dans l’armée ottomane. Ces rapports
montrent que Wirsén prenait la liberté de faire des recommandations au sujet de
certaines activités visant la Turquie et l’Allemagne, ce qui laisse penser que
ses analyses importaient au regard de l’élaboration de la politique étrangère
suédoise.
Le 30 avril 1915,
l’ambassadeur de Suède à Constantinople, Per Gustaf August Cosswa Anckarsvärd,
rédige une dépêche de cinq pages sur le thème de l’armeniska frågan
[question arménienne] et le mouvement révolutionnaire arménien. Relevant que le
« fantôme de la soi-disant question arménienne » est réapparu dans les régions
intérieures du pays, Anckarsvärd livre une description chronologique assez
détaillée sur ce sujet. (25) Anckarsvärd mentionne le fait que la Sublime Porte
(26), se fondant sur des renseignements des services secrets quant aux plans
des révolutionnaires, a procédé à une arrestation en masse d’environ 400
Arméniens à Constantinople, tandis que de nombreux autres ont été de même
incarcérés dans d’autres villes. « Parmi les personnes arrêtées figurent
beaucoup de journalistes, médecins et avocats arméniens. Ils ont été envoyés à
Angora [Ankara], dans l’attente d’un procès devant une cour martiale. » (27)
Anckarsvärd se réfère ici à la rafle des intellectuels arméniens à travers
l’empire, en particulier à Constantinople.
Le 26 mai 1915, le Svenska
Morgonbladet publia le télégramme suivant, reçu de Paris : « Depuis un mois
environ, les populations kurdes et turques en Arménie, tombées d’un commun
accord et avec l’aide du gouvernement turc, ont commis des massacres de masse
sur les Arméniens. Massacres qui ont eu lieu à partir de la mi-avril à
Erzéroum, Dertsjun [Ter-Djan], Egin, Bitlis, Moush, Sassoun et autres. » (28)
Le 6 juillet 1915, Anckarsvärd expédie un rapport de deux pages intitulé « Les
persécutions arméniennes, » une expression utilisée en titre de six autres
rapports durant l’année 1915. Il est écrit ce qui suit :
« Les persécutions arméniennes
ont atteint des proportions à faire frémir et tout indique que les Jeunes-Turcs
veulent saisir l’occasion, puisque aucune pression extérieure efficace n’est à
redouter pour plusieurs raisons, de mettre un terme, une fois pour toutes, à la
question arménienne. Le moyen d’y parvenir est très simple et réside dans
l’extermination [utrotandet] de la nation arménienne. […] Il ne semble
pas que ce soit la population turque qui agisse de son propre chef, mais que
toute cette opération trouve son origine au sein des instances gouvernementales
et du Comité Jeune-Turc, lequel se tient derrière le gouvernement et affiche
maintenant ouvertement le genre d’idées qu’il cultive. […] L’ambassadeur
d’Allemagne a fait appel par écrit auprès de la Porte, mais que peut faire
l’Allemagne ou tout autre grande puissance, tant que la guerre se poursuit ? Le
fait que les Puissances centrales puissent menacer la Turquie est pour l’heure
impensable, et la Turquie est déjà en guerre avec la majorité des grandes
puissances restantes. » (29)
Pour la première fois,
Anckarsvärd pointe ici deux observations importantes : 1) les tueries de masse
sont orchestrées avec le Comité Union et Progrès à l’arrière-plan, et 2) leur
objectif est d’ « exterminer la nation arménienne. » Les atrocités justifierait
pourtant une nouvelle intervention de l’Europe, mais une fois la guerre
achevée. L’analyse du caractère désespéré de la situation par l’ambassadeur de
Suède souligne aussi la conscience qu’avait la Turquie d’une fenêtre
d’opportunité, provoquée en partie par la passivité de ses alliés et
l’impuissance des pays étrangers (nations neutres et hostiles), qui leur
fournissait une occasion de mettre en œuvre sa « solution finale. » Le rapport
d’Anckarsvärd expose la nécessité fondamentale d’une intervention humanitaire,
mais ni l’Etat ami (l’Allemagne), ni les autres grandes puissances en mesure de
mettre sur pied ce genre d’intervention n’étaient en position d’interférer pour
arrêter le génocide.
Peu après, le 15 juillet 1915,
Anckarsvärd informe Stockholm d’un avertissement adressé à la Porte par
l’ambassadeur d’Allemagne au sujet des massacres arméniens. « La Turquie
risque, en particulier aux yeux des nations neutres et avant tout en Amérique,
de susciter la plus grande réprobation. En outre, les agissements illégaux et
les excès des organismes gouvernementaux turcs ouvrent la voie à une
intervention de l’Europe et à son ingérence dans les affaires intérieures de la
Turquie, dès que la guerre aura cessé. » (31) La question d’une intervention humanitaire
était clairement posée, tout en établissant le fait que ce genre d’action, du
fait de la situation d’alors, arriverait presque à coup sûr trop tard pour
sauver les Arméniens.
Le rapport d’Anckarsvärd en
date du 15 juillet 1915 précise que le « Patriarche arménien a demandé au
ministre de la Justice et de la Culture si son intention est d’anéantir la
nation arménienne tout entière, auquel cas il est prêt à lancer une opération
afin d’organiser une émigration de masse vers, entre autres lieux, les pays
d’Amérique du Sud. De la sorte, les Turcs se débarrasseraient des Arméniens et
les Arméniens connaîtraient moins de souffrances que maintenant. » (32)
Proposition très semblable au projet malgache des nazis. (33)
Le 22 juillet 1915,
Anckarsvärd informe son ministère des Affaires Etrangères que non seulement les
Arméniens subissent des persécutions, mais aussi les Grecs, qui connaissent le
même sort. Le chargé d’affaires grec à Constantinople, M. Tsamados, lui a expliqué
: « Elles [les déportations] n’ont d’autre objet qu’une guerre de destruction
contre la nation grecque en Turquie ; les mesures qui sont prises par les Turcs
visent donc à mettre en place des conversions forcées à l’islam ; l’objectif
évident étant que, si à la fin de la guerre se posait à nouveau la question
d’une intervention européenne, afin de protéger les chrétiens, il en restât le
moins possible. » (34)
Le 18 août 1915, l’ambassadeur
de Suède notifie à Stockholm une nouvelle protestation de l’Allemagne contre
les massacres en cours. La note de l’ambassadeur allemand contient un « ton
beaucoup plus grave, » soulignant que l’Allemagne ne peut voir sans réagir «
comment la Turquie, via les persécutions arméniennes, périclite au plan moral
et économique. De plus, ils [les Allemands] ont protesté contre les agissements
en cours de la Porte, du fait que l’Allemagne, son alliée, commence à être
soupçonnée d’approuver ces agissements et qu’enfin, l’Allemagne décline toute
responsabilité quant aux conséquences. » (35) Le 2 septembre 1915, Anckarsvärd
expédie un nouveau rapport précisant qu’il « est évident que les Turcs
saisissent l’occasion, durant la guerre présente, d’anéantir [utplåna]
la nation arménienne, en sorte que, une fois la paix venue, la question
arménienne ne se pose plus. […] Il est à noter que les persécutions arméniennes
ont été perpétrées à l’instigation du gouvernement turc et ne relèvent
aucunement d’une éruption spontanée de fanatisme turc, même si ce fanatisme est
utilisé et joue un rôle. La tendance à s’assurer que la Turquie ne soit peuplée
que de Turcs peut, à la longue, se manifester d’une manière horrible à l’égard
des Grecs et aussi des autres chrétiens. » (36) Anckarsvärd montre très
clairement que les massacres ne furent ni un acte de vengeance, ni une question
de guerre civile ou intérieure, mais un carnage systématique, planifié et mis
en œuvre par l’Etat, à savoir un génocide. Le Turquie avait donc le
comportement d’un Etat en déliquescence, dans lequel la structure et les normes
en matière de sauvegarde des droits de l’homme de ses citoyens étaient
suspendus ou ignorés. (37)
La dépêche du 4 septembre 1915
présente le bilan des pertes arméniennes, établi par le Patriarche arménien.
Anckarsvärd confirme son estimation, selon laquelle la moitié de la population
arménienne a été liquidée, mais doute que celle-ci soit aussi nombreuse que
deux millions d’habitants, chiffre avancé par le Patriarche. Anckarsvärd note
aussi l’impact économique négatif de ces persécutions en Turquie, puisque près
de 80 % du commerce était aux mains des Arméniens. (38)
Le 4 octobre 1915, le Svenska
Morgonbladet affirme que l’ambassadeur des Etats-Unis à Constantinople,
Henry Morgenthau, a reçu l’ordre de la part de son gouvernement d’adresser un avertissement
au ministre turc des Affaires Etrangères, précisant que « si les massacres
arméniens ne cessent pas, les relations d’amitié avec les Etats-Unis seront
mises en péril. » (39) Quoi qu’il en soit, jamais une directive similaire ne
fut émise par Stockholm. Au lieu d’exprimer de vives protestations, la presse
suédoise commença par mettre en doute la crédibilité de cette information,
citant les explications du gouvernement turc selon lequel ces mesures étaient
nécessaires, du fait des relations des Arméniens avec les Russes, les
Britanniques et les Français. (40) L’année 1915 abonde cependant en notes et en
rapports sur la destruction et l’extermination, mises en œuvre par l’Etat, de
la nation arménienne. A lui seul, l’ambassadeur expédia plus de dix rapports
sur la persécution des Arméniens et leur sort.
Le 15 janvier 1916,
Anckarsvärd envoie un rapport rédigé par l’attaché militaire suédois, Wirsén,
qui fait le point sur la situation des opérations militaires en Turquie.
Commentant la pénurie de nourriture, le rapport souligne le fait que cela
résulte en partie de mauvaises récoltes en Anatolie. Mauvaises récoltes dues à
l’absence de travail, puisqu’ « un très grand nombre d’hommes a été enrôlé et
[que], dans de vastes régions, la population la plus valide, à savoir les
Arméniens, a été soumise au sort le plus affreux […] » (41) Le 13 mars 1916,
Wirsén note la tension entourant les officiers allemands, ce qui affecte leurs
relations avec les Turcs. Il suppose que quelque chose est sur le point d’arriver
sur le front du Caucase, mais que l’issue est incertaine. Il conclut le
paragraphe par la phrase suivante : « L’on observe que la persécution des
Arméniens a maintenant débuté en Thrace et même à Constantinople, où les
Arméniens vivant dans les parties orientales de la ville ont commencé à être
transférés vers l’Asie. » (42) Commentant la situation générale en mai, Wirsén
souligne la source principale des épidémies qui se propagent sur le front
oriental : « La situation sanitaire en Irak est épouvantable. La fièvre du
typhus fait de nombreuses victimes. Les persécutions arméniennes ont largement
contribué à la diffusion de la maladie puisque, par centaines de milliers, les
[Arméniens] expulsés meurent de faim et de privations, le long des routes. » (43)
Dans sa dépêche en date du 20
mai 1916, l’ambassadeur Anckarsvärd relate les négociations en cours entre
Turquie et Allemagne, commentant la situation en Turquie et les rumeurs d’une
éventuelle capitulation. Evoquant la possibilité d’agressions contre les
étrangers en Turquie et une intervention étrangère qui s’ensuivrait,
Anckarsvärd soutient qu’une intervention étrangère ne ferait qu’affaiblir
l’empire turc, tandis que son analyse ne propose pas d’autre option :
« Ce n’est que par la guerre
qu’un régime ultra-terroriste tel que celui-ci peut être renversé. La véritable
nature de ce régime est apparue à la surface de manière très significative à
travers les persécutions arméniennes. Le fait que ces mêmes méthodes violentes
sont encore mises en œuvre est évident à travers les récents rapports des
services secrets concernant les mesures visant à subjuguer l’agitation parmi
les Arabes. […] A Alep, des rumeurs circulent quant à une déportation imminente
d’Arabes par centaines de milliers. Telle est l’administration Jeune-Turc, des
plus incompétente à régler les difficiles problèmes posés par les éléments
hétérogènes, dont se compose la population. Les succès militaires, grâce à
l’aide allemande, ne doivent pas créer l’illusion que la Turquie renaisse grâce
à la guerre. La souche est corrompue, au point qu’une véritable régénération
est inconcevable. » (44)
Anckarsvärd prédit ainsi que,
même si une intervention ne constitue peut-être pas la meilleure réponse, elle
pourrait bien être la seule alternative, puisque aucun changement n’est
susceptible de venir de l’intérieur améliorer la situation des minorités.
Néanmoins, la guerre donne une occasion idéale d’agir en Etat qui a failli,
sans craindre une quelconque ingérence extérieure.
Le 7 juin 1916, le Dagens
Nyheter signale qu’à Trébizonde, il n’y a en moyenne que 92 survivants pour
10 000 habitants. « L’extermination des Arméniens a été menée de manière
systématique. » (45) La passivité de la Suède en réaction à la nouvelle de ces
atrocités fut critiquée par l’éditeur G.H. von Kock, qui s’en prit non
seulement au gouvernement, mais aussi à l’Eglise : « C’est avec peine que l’on
note que, depuis la première annonce de cette question, rien ou, du moins, très
peu a été fait pour aider les Arméniens et les Syriens chrétiens qui, en Asie
Mineure, sont massacrés par centaines de milliers par les Turcs et les Kurdes.
[…] Il semble parfois que nous soyons, ici en Suède, comme paralysés face à
tous ces malheurs qui prévalent maintenant et s’accroissent sans cesse dans le
monde. » (46)
Presque un mois plus tard,
Anckarsvärd expédie un rapport informant Stockholm de la possibilité d’une
déclaration de guerre de la Grèce contre la Turquie, qui pourrait se traduire
par la répétition du sort des Arméniens, engloutissant cette fois les Grecs de
Turquie. Le rapport est important, du fait de la demande attendue de protection
des intérêts grecs en Turquie : « L’ambassadeur des Pays-Bas a informé son
gouvernement qu’en cas d’une éventuelle demande de la part de la Grèce, s’agissant
de confier la protection de ses intérêts en Turquie à la légation hollandaise,
il conviendrait de la refuser. Le ministère des Affaires Etrangères à La Haye a
répondu qu’il approuve totalement le point de vue de l’ambassadeur. En mon nom
personnel, j’aimerais respectueusement faire la même proposition auprès de
Votre Excellence car cela concerne cette ambassade, au cas où le gouvernement
d’Athènes s’adresserait au gouvernement de Sa Majesté. » (47) Il s’agit là du
seul exemple où Anckarsvärd recommande une politique particulière à Stockholm
au regard des événements en Turquie. Ce rapport montre aussi comment la crainte
de mettre en danger les intérêts de tel ou tel pays pouvait empêcher
directement ce pays d’intervenir, en cas d’urgence humanitaire. Cette politique
deviendra beaucoup plus évidente avec l’arrivée du nouvel ambassadeur de Suède
en 1920.
Dans sa dépêche du 5 janvier
1917, Anckarsvärd fait une importante observation sur l’influence allemande en
Turquie, concernant le risque imminent d’une capitulation turque : « La
situation eût été différente, si la Turquie avait suivi le conseil des
Puissances centrales de les laisser s’occuper de la question de
l’approvisionnement, etc. […] Plus grave néanmoins, l’extermination [utrotandet]
des Arméniens qui, peut-être, aurait pu être prévenue, si les conseillers
allemands avaient reçu en temps utile autorité sur l’administration civile,
tandis que les officiers allemands exercent de fait dans l’armée et la marine.
[…] Les déclarations mentionnées plus haut, comme je l’ai rappelé, émanent d’un
diplomate officiel, allié de la Turquie. Votre Excellence peut ainsi peser ce
que les diplomates neutres pensent de la situation ici. » (48)
Le 14 janvier 1917,
Anckarsvärd adresse une dépêche concernant la décision de déporter les Grecs
ottomans. Il note que l’ambassadeur des Etats-Unis tente de faire cesser ces
déportations en soulignant auprès de la Porte le genre d’impression qu’« une
répétition des persécutions arméniennes, cette fois contre les Grecs, donnerait
dans l’ensemble du monde civilisé. » Il achève son rapport en soutenant ce qui
suit : « Ce qui, surtout, apparaît comme une atrocité inutile, c’est que la
déportation ne se limite pas aux hommes, mais s’applique également aux femmes
et aux enfants. Tout cela vise apparemment à confisquer bien plus aisément les
biens des déportés. » (49)
La question arménienne fut
revécue en 1917 en Suède. Même les écrivains et les politiciens se joignirent
alors au débat. L’ambassade de Turquie à Stockholm s’y impliqua elle aussi,
réfutant les allégations dont faisait état la presse suédoise. Le 24 mars, le Dagens
Nyheter publia un appel parlementaire, rédigé par le maire de Stockholm,
Carl Lindhagen, au ministre des Affaires Etrangères, Johannes Hellner, déclarant
: « Les précédentes atrocités en Arménie pâlissent au regard de l’extermination
[utrotandet] concrète des Arméniens, qui s’est récemment déroulée. » Il
poursuit en demandant si « le gouvernement, seul ou en collaboration avec
d’autres gouvernements neutres, susceptibles d’influer en quelque manière,
souhaite aider le droit de la population arménienne à protéger son existence,
ses biens et sa nation ? » (50)
En réponse à l’interpellation
du maire Lindhagen, adressée au ministre suédois des Affaires Etrangères, le
président du parti conservateur au Parlement, Arvid Lindman, rejeta toute
demande d’intervention, se référant au fait que la Suède n’avait pas à
s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre Etat. (51) Le chef de
l’opposition, président du parti social-démocrate, Hjalmar Branting, fit savoir
que la Suède devait protester contre les massacres arméniens, de même qu’elle
avait protesté contre la « catastrophe survenue en Belgique. » (52) Néanmoins,
aucune protestation ne fut publiée. Le 26 mars [1917], une manifestation de
protestation fut organisée en soutien aux Arméniens. Dans une salle comble à
Stockholm, ce rassemblement fut présidé par le maire Lindhagen, tandis que
Hjalmar Branting prononça le discours d’ouverture. La principale allocution fut
présentée par l’écrivaine Marika Stjernstedt. Les ambassadeurs de France, de
Russie, de Belgique et d’Italie étaient eux aussi présents et des fonds furent
collectés. (53) Evoquant les massacres arméniens de la fin du 19ème siècle,
Branting reprocha à la presse conservatrice d’avoir pratiquement passé sous
silence l’information relative aux massacres, déclarant que le monde fut «
témoin qu’en Arménie, un génocide [folkmord] pleinement organisé fut
perpétré et que les événements en cours dans ce pays sont sans comparaison avec
tout ce qui s’est passé durant la guerre. » (54) Branting est peut-être bien la
première personnalité à avoir, des années avant Raphaël Lemkin, utilisé le
terme folkmord, à savoir génocide, quant à la destruction d’une nation.
Branting informa aussi l’assistance qu’en 1916, il avait contacté le ministre
des Affaires Etrangères d’alors, Knut Wallenberg, afin qu’il intervînt et fît
cesser les massacres. Démarche qui s’avéra vaine. (55) Rappelons qu’à cette
époque, Branting était chef de l’opposition, critiquant le gouvernement pour sa
germanophilie et son indifférence face à un désastre humanitaire évident. Il
aura la chance de traiter cette question, lorsqu’il deviendra premier ministre,
ce que j’aborderai plus tard. Ce rassemblement exaspéra la Mission diplomatique
de Turquie à Stockholm, laquelle publia un article dans le Svenska
Morgonbladet, expliquant que le gouvernement turc, au début de la guerre,
avait prévenu que « toute tentative de révolte serait sévèrement châtiée. Les
Arméniens poursuivirent leur ancienne politique, un bain de sang et des
attaques contre les Turcs débutèrent – autrement dit, tous les symptômes d’une
entière insurrection. » (56) Neuf jours plus tard, Marika Stjernstedt publia un
article véhément sur les massacres arméniens, citant de nouveaux témoignages
corroborant les accusations contre les Turcs. (57)
Dans un rapport du 20 août
1917 concernant l’impact de la guerre sur la Turquie, les pertes territoriales,
ainsi que leurs répercussions sur la société, l’envoyé suédois Ahlgren
identifie les causes suivantes de l’augmentation du coût de la vie : «
obstacles au commerce intérieur, paralysie quasi totale du commerce extérieur,
et enfin forte baisse de la force de travail, provoquée en partie par la
mobilisation, mais aussi par l’extermination de la race arménienne [utrotandet
af den armeniska rasen]. » (58) Ahlgren s’accorde ainsi avec le point de
vue d’Anckarsvärd, lorsqu’il décrit le véritable objectif des massacres et la
nature du sort réservé aux Arméniens. Peu après, l’analyse de la situation est
établie plus en détail dans un rapport sur les nouveaux maîtres de la Turquie,
les « Jeunes-Turcs. » Dans une dépêche du 10 septembre 1917, Ahlgren livre une
description détaillée du parti Union et Progrès. Avant la guerre, la politique
turque était celle de « l’ottomanisme, » visant à homogénéiser l’empire
hétérogène en désintégration qui, jusque là, était maintenu par un pouvoir
autocratique. Les nouveaux dirigeants réalisèrent néanmoins que l’ottomanisme
menaçait l’élément turc, puisque d’autres populations soumises « exigèrent des
droits égaux aux Turcs pour elles-mêmes : sécurité pour leur existence et leurs
biens, accès aux emplois civils et militaires, et même au gouvernement. » (59)
Afin d’empêcher cela, Talaat et Enver, grâce au coup d’Etat de 1913,
éliminèrent le gouvernement libéral et commencèrent à mettre en œuvre des
changements dans la Constitution afin d’avantager les droits de l’élément turc.
Renvoyant à la politique nouvelle d’homogénéisation de la Turquie, appliquée
par les dirigeants turcs, Ahlgren affirme que celle-ci était programmée en «
assimilant les autres nationalités et, lorsqu’elle échoua, en recourant bientôt
aux persécutions politiques et à l’extermination. C’est à la lumière de ces
faits qu’il convient de peser les mesures prises contre les Arméniens et,
peut-être, de futures [actions] similaires contre les Grecs. » (60) Toute
opposition fut brutalement supprimée, tous les postes essentiels au sein de
l’administration furent attribués à des fidèles, et une police nouvelle fut
créée pour agir en toute sécurité aux mains du gouvernement. Un même traitement
fut appliqué à l’armée. (61) Le gouvernement s’assura un contrôle total du
pays.
En 1918, après un entretien
avec le ministre turc des Affaires Etrangères, Nessimy Bey, Anckarsvärd adressa
une lettre à Stockholm, en date du 22 avril, relatant l’information recueillie
auprès du ministre. Nessimy Bey réfutait les récentes informations sur de
nouveaux massacres arméniens, les qualifiant de propagande britannique, tout en
soulignant que leurs souffrances antérieures étaient dues au comportement
rebelle des Arméniens et à leur évacuation qui s’ensuivit. « Or, poursuit
Anckarsvärd, le simple fait de soumettre récemment et inutilement les Arméniens
à de nouvelles souffrances ne saurait être compris par quiconque doué de raison
en Turquie, car cela ne fera qu’alimenter davantage l’indignation déjà
dominante envers la Turquie. » (62) Autrement dit, Anckarsvärd fait allusion au
ressentiment manifesté à l’étranger à l’égard de la Turquie et au sort qu’elle
réserva à ses sujets arméniens, même si une ferme condamnation de ces
agissements brillait par son absence. Le 25 août, Ahlgren fait état des
négociations de paix en cours au Caucase entre la Turquie et les républiques
nouvellement créées de Géorgie, d’Azerbaïdjan et d’Arménie. Mentionnant la
poussée des Turcs vers l’est, à l’intérieur du Caucase, en direction de Bakou
et au-delà, il note que les exigences territoriales des républiques arménienne
et azerbaïdjanaise sont presque entièrement satisfaites par la Turquie, alors
que la demande arménienne originelle d’un territoire de 45 000 kilomètres
carrés est limitée à 11 000, englobant essentiellement la province d’Erevan. «
L’Arménie est ainsi lourdement circonscrite, mais cela est moins surprenant que
le fait que les Turcs aient, globalement, décidé de reconnaître un Etat
arménien indépendant, ce qui contredit manifestement leur politique mise en
œuvre depuis 1915, laquelle s’est évertuée à régler la question arménienne au
moyen de l’extermination de la race arménienne [den armeniska rasens
utrotande]. » (63) Ahlgren relève cependant que cette reconnaissance par la
Turquie ne fut pas spontanée, mais due aux efforts de persuasion de l’Allemagne.
Quoi qu’il en soit, l’offensive turque en direction de Bakou fut stoppée par la
signature de l’armistice de Mudros, par lequel la Turquie capitula le 30
octobre 1918. (64) Des mesures de réconciliation de la Turquie se poursuivront
en 1919.
Il convient de citer ici une
dépêche qu’Anckarsvärd adressa à Stockholm le 8 octobre 1918. Cette dépêche
fait le bilan d’une audience d’Anckarsvärd à la cour du prince impérial
Abdülmecit. Le prince avait dissous le cabinet de Talaat à cause de sa mauvaise
administration du pays et, en particulier, de la perte de confiance, au plan
intérieur et extérieur, du fait de « deux erreurs impardonnables qui, aux yeux
de la Turquie et à l’étranger, les rendent impropres à diriger le pays, à
savoir d’une part les persécutions arméniennes, et d’autre part l’excès
d’atrocités commises en Syrie contre les cheikhs arabes impliqués dans des
complots. » (65) Deux observations importantes figurent dans cette dépêche : 1)
le pouvoir turc pointe un Etat qui a failli, administrant mal le pays en
général, et pas seulement à l’égard des minorités ; 2) la réaction de la
Turquie, en l’espèce de la part du prince impérial, admit la reconnaissance des
atrocités, bien avant que les puissances de l’Entente ne fissent pression sur
la Turquie vaincue et les procès qui suivirent.
Le 10 janvier 1919,
Anckarsvärd rend compte des perspectives futures de la Turquie. Problème majeur
cité dans ce rapport, l’avenir de la Cilicie (et aussi de Diyarbakir), à savoir
si cette importante et riche province doit être incluse dans le projet
d’Arménie indépendante ou laissée à la Turquie. Ce rapport est l’un des
premiers – et ils furent nombreux – transmis de Constantinople à Stockholm,
signalant l’impact de la création de l’Arménie sur les finances de la Turquie.
La question centrale est de savoir comment préserver la Turquie d’une
catastrophe financière imminente et, plus important encore, comment préserver
le capital étranger investi en Turquie. Anckarsvärd note qu’un conseiller
français, commentant la situation financière en Turquie, conseille de «
préserver la Turquie de la banqueroute, tout en sauvegardant les importants
capitaux français et anglais présents en Turquie. Les pays de l’Entente ne
doivent pas, dans leur intérêt, ruiner la Turquie, qu’ils espèrent, à l’avenir,
pouvoir pleinement contrôler et exploiter en toute liberté. » (66) Anckarsvärd
en conclut : « L’on ne ruine pas, dit-on, son débiteur, et la question est de
savoir si l’on peut tirer des conclusions de cette thèse. » Des rapports
ultérieurs, mentionnés plus avant, éclaireront davantage la mise en œuvre de
cette thèse par les puissances étrangères au regard de l’Arménie et de la
Turquie.
Jusqu’ici, les dépêches de
l’ambassade indiquent clairement qu’il y eut des massacres à grande échelle,
ayant pour but d’anéantir la nation arménienne. Il y eut bien quelques
agissements révolutionnaires de la part des Arméniens, dus en partie aux
atrocités turques perpétrées dans le passé, mais l’échelle de ces agissements
explique difficilement l’extermination de la nation arménienne dans son
ensemble. En outre, les dépêches soulignent plus d’une fois que les massacres
arméniens ne résultèrent pas d’actions publiques spontanées, mais de la mise en
œuvre, orchestrée par le gouvernement, de la liquidation d’une nation. L’on
peut donc affirmer avec certitude que la politique du gouvernement suédois,
quelles que fussent les informations complémentaires véhiculées par la presse
et les missionnaires nationaux, était, en se basant seulement sur les dépêches
reçues de ses missions diplomatiques et militaires, bien informée de
l’éradication en cours de la nation arménienne.
Néanmoins, en 1920, avec
l’arrivée d’un nouvel envoyé suédois à Constantinople, le ton des rapports et
des analyses changea du tout au tout, du moins pour ce qui concerne les
Arméniens et la question arménienne. Ce nouvel envoyé était Gustaf Oskar
Wallenberg, ancien envoyé de Suède au Japon et demi-frère de K.A. Wallenberg,
ancien ministre suédois des Affaires Etrangères. Il représentait un type
complètement nouveau de diplomates au ministère suédois des Affaires
Etrangères. Il différait des diplomates suédois traditionnels sous bien des
aspects. Il n’était pas diplomate de carrière, mais plutôt homme d’affaires,
une réalité que l’on peut rattacher à son contexte familial. Il appartenait au
puissant clan des Wallenberg, une famille de grands financiers de longue date.
Néanmoins, malgré cet arrière-plan ploutocratique, il n’était pas issu de la
noblesse, ce qui était normalement le cas des diplomates suédois. (67) Par
ailleurs, il fut un inlassable défenseur des intérêts commerciaux de la Suède
dans les marchés d’alors, en particulier émergents. (68) Ce dernier aspect est
des plus évident dans le matériau étudié. Alors que son prédécesseur, Anckarsvärd,
fait surtout état de questions militaires et diplomatiques, les rapports de
Wallenberg abondent en commentaires sur les possibilités commerciales, les
stratégies d’expansion pour les exportations suédoises dans la région, etc.
Le 26 janvier 1920, le
ministère suédois des Affaires Etrangères adresse un courrier marqué «
Strictement confidentiel » [Strängt Förtroligt] à ses ambassadeurs à
Oslo, Helsinki, Berlin, Vienne, La Haye, Berne, Rome et Londres, ainsi qu’au
lieutenant-colonel Francke, au siège de l’état-major général. Le document joint
à ce courrier est un rapport anonyme émanant d’ « un Suédois, qui a longtemps
vécu à Constantinople. » (69) Le rapport en question réfute totalement les
massacres : « Le débat sur les massacres des « chrétiens » etc. est
indubitablement et totalement dénué de fondement ; notamment le fait qu’aucun
détail vérifiable n’y figure ; « les forces nationales » ne sont présentées, en
général, que comme des massacreurs. N’y a-t-il personne pour demander des
preuves ? » (70) L’énoncé de la dépêche affirme que cette information relève
d’une « agitation irresponsable à l’encontre de la Turquie qui, depuis la
trêve, a pu se donner libre cours grâce à des éléments levantins plus ou moins
répugnants. […] » (71) Rien de précis n’est dit au sujet de ces « éléments
levantins », même si l’on peut supposer les nationalités – arménienne et
grecque – que l’auteur a en tête.
Le 12 avril 1920, l’ambassade
de Suède envoie une dépêche intitulée « De la place future de l’Arménie, »
interrogeant Stockholm sur la décision de la Société des Nations de trouver un
« Etat civilisé désireux d’accepter la responsabilité du mandat [pouvoir] sur
l’Arménie, sous le contrôle de la Société des Nations. » (72) Lors d’un
entretien, M.J. Goult, chargé d’affaires français à la Société des Nations,
apprit à l’envoyé de Suède qu’ « il serait extrêmement souhaitable de voir un
ou plusieurs Etats, susceptibles d’être enclins à accepter cette tâche très
importante et humanitaire […] » L’ambassade conclut ce message en proposant de
nouvelles informations, au cas où Stockholm était disposée à accepter l’offre.
(73) Le 24 avril, un télégramme parvient à Stockholm, se référant aux journaux
qui affirment que la Hollande, la Suède ou la Norvège entendent assumer ce rôle
de mandataire. De toute manière, les Etats-Unis assumeraient la responsabilité
de l’aide économique. D’après une information supplémentaire, la décision
finale fut reportée, en attendant la décision de la Commission internationale.
(74)
Le 26 avril 1920, néanmoins,
G.O. Wallenberg envoie un recommandé en trois pages au ministre des Affaires
Etrangères Erik Palmstierna, dans lequel il souligne l’importance de renoncer à
tout soutien en faveur de la cause arménienne, au nom des intérêts suédois en
Turquie et dans la région. Pour justifier son point de vue, il va, entre autres
choses, jusqu’à affirmer que le « caractère national arménien est des plus
douteux, ce qui, au passage, n’est pas pour surprendre de la part d’un peuple,
dont la politique séculaire s’est limitée aux domaines de l’intrigue. […]
Les représentants du pouvoir mandataire courront ici le risque d’être utilisés
à des fins qu’ils ne souhaiteront pas ; et si quelque scandale éclate, les
Arméniens les en rendront toujours responsables. » (75)
Le contenu de ce rapport ne
peut être considéré que comme une tentative évidente de minimiser la nécessité
d’un engagement de la Suède, fondé sur des questions morales et humanitaires.
Wallenberg aborde le problème d’un point de vue purement réaliste, préservant
les intérêts économiques et politiques de la Suède. Contrairement à ses
voisins, l’Arménie n’a rien à offrir à la Suède. Wallenberg le fait clairement
savoir et se chargera de poursuivre cette rhétorique, afin d’amoindrir la place
de l’Arménie dans cette équation. Il convient de souligner que son analyse et
ses observations contredisent fortement le point de vue de son prédécesseur et
celui de Wirsén. Wallenberg était un homme d’affaires, intéressé par les
profits et non par les responsabilités humanitaires. Durant les années
suivantes, Wallenberg maintint ce comportement négatif à l’égard des Arméniens
et de la question arménienne. Il rejetait la thèse qu’il y eût quelque Arménien
que ce fût en Turquie, tout en admettant qu’il y avait des « Turcs de
confession chrétienne. » Pour confirmer le fait qu’il n’y aurait pas de
communauté arménienne en Turquie, Wallenberg cite un avocat arménien qui lui
aurait dit : « Nous sommes turcs et nous souhaitons le rester. » (76)
Wallenberg affirmera ensuite que les Arméniens n’ont de toute façon pas
d’avenir. En Turquie, presque tous « les soi-disant Arméniens parlent le turc,
» et « en Union Soviétique, ils seront sûrement russifiés. » (77) Il soutenait
de plus que la tentative de créer une Arménie indépendante ne relevait que de
la volonté des Arméniens de la diaspora, « des nationalistes déracinés, » et
n’avait pas le moindre ancrage parmi les Arméniens d’Arménie. Il compare à ce
propos les organisations des Arméniens en exil avec le mouvement sioniste,
comparant les Arméniens de Turquie aux Juifs de Palestine, critiquant leurs
compatriotes nationalistes de la diaspora. (78)
Le 22 octobre 1920, l’on
apprit la demande d’aide de l’Arménie auprès de l’Entente, suite à un ultimatum
émanant de la Russie soviétique. Citant L’Indépendance Belge, le Dagens
Nyheter signale que « la Société des Nations a proposé, au sujet de
l’Arménie, que le Conseil Suprême nomme une puissance mandataire pour
l’Arménie. » (79) La question d’un mandat de la Suède sur l’Arménie fut
soulevée lors de la session d’automne de la Société des Nations. Le 20 novembre
1921, la S.D.N. tint sa première assemblée générale, avec Hjalmar Branting
comme chef de la délégation suédoise. Ce rassemblement reçut de nombreux
télégrammes de la part des organisations arméniennes en France, Turquie,
Roumanie, Etats-Unis et Egypte, entre autres, appelant les membres de la
Société des Nations à sauver l’Arménie. (80) Pour reprendre la définition de
Grotius, ces appels émanaient de sujets éliminés, appelant à une intervention
étrangère comme forme épurée de « guerre juste. » (81) Se référant aux
télégrammes et à l’appel des Arméniens, le délégué yougoslave demanda aux
grandes puissances d’intervenir. L’intervention humanitaire ne constituait pas
seulement une mission de sauvetage, mais aussi de maintien de la paix. Puis,
Branting parut à la tribune, soutenant les déclarations des précédents orateurs
et demandant que les grandes puissances intervinssent à ce sujet. (82) L’on
peut donc en conclure qu’aux yeux de Branting, l’intervention ne représentait
pas seulement une obligation morale, visant à protéger les droits de l’homme et
la sécurité des sujets arméniens en Turquie, mais aussi le fait que la
situation globale menaçait la sécurité internationale et la Société des Nations
nouvellement créée. La France et l’Angleterre déclinèrent le mandat, renvoyant
au fait qu’elles avaient déjà accepté des missions de mandataire. Dès qu’il
apprit la nouvelle, le premier ministre suédois, Louis De Geer Junior envoya
immédiatement un télégramme à la Société des Nations, déclinant le mandat sur
l’Arménie, du fait de « la distance entre les deux pays, et [de] la nature
complexe et sérieuse du problème arménien. » (83) Le télégramme de la Norvège
fut littéralement une copie carbone de la réponse suédoise, tandis que celle du
Danemark était la même dans son contenu. (84)
Le 23 novembre [1920], le Nya
Dagligt Allehanda publia un article, qui posait la question suivante : « La
question arménienne doit-elle conduire à la création d’une force de police
internationale ? » (85) Ce qui pourrait bien être la première fois où la
nécessité d’une force internationale de maintien de la paix soit apparue. Le
fait que la Société des Nations refusa ou fut incapable de prendre quelque
engagement que ce fût au regard de la question arménienne, dans une situation
d’urgence, fut exposé par le correspondant du Social-Demokraten à
Genève, qui écrivit : « Les nations civilisées s’observent, un peu honteuses,
chacune d’elles murmurant sa réponse au Conseil : « L’Arménie doit, bien sûr,
être aidée. Il est de la responsabilité de toute l’humanité d’aider l’Arménie.
Il ne doit pas arriver que l’Arménie ne soit pas aidée. Mais pourquoi
devrais-je le faire ? Pourquoi moi ? Pourquoi moi ? » entend-on de toutes
parts. ‘Pourquoi devrais-je m’exposer au risque et à l’inconvénient de fourrer
mon nez dans cette caverne de voleurs ?’ Et toutes les nations civilisées de se
tenir au bord, entourant des gens qui se noient, redoutant d’être elles-mêmes
jetées à l’eau. » (86) La communauté internationale voyait évidemment le
problème et témoignait sa sympathie, mais c’était tout. L’Arménie ne valait
tout simplement pas le risque. Quiconque s’engageait à accepter un pouvoir de
mandataire sur l’Arménie prenait le risque de s’endetter et d’entrer en conflit
avec ses voisins économiquement et politiquement plus avisés, tels que la
Turquie, l’Azerbaïdjan et la Russie. La réaction de presque tous les pays qui
déclinèrent leur participation, tout en reconnaissant la nécessité d’une
intervention humanitaire, montre que s’il y avait une volonté suffisante pour
intervenir, tel n’était pas le cas lorsqu’il s’agissait de consacrer des
ressources à cette cause.
Le 19 octobre 1921, Wallenberg
écrivit une nouvelle lettre au sujet de la demande possible, par la Société des
Nations auprès de la Suède, d’agir comme garant d’un gouvernement arménien
temporaire en Cilicie. La perspective d’une telle demande paraissait des plus
mince ; néanmoins la recommandation de Wallenberg, fondée sur les mêmes motifs
qu’il avait opposés à la proposition concernant la puissance de mandataire, fut
de décliner ce genre de demande. (87) Commentant la question de la non
ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain, il note que «
chercher à en faire un problème international reviendrait fondamentalement à
choisir d’ériger en principe que les Etats ne devraient plus avoir
juridiquement le droit de prendre des mesures contre des complots visant leur
sécurité. » (88) Le 15 novembre 1921, l’intérêt économique d’une relation
étroite avec Constantinople apparut plus clairement, lorsque Wallenberg expédia
un rapport de quatre pages, analysant les développements dans la région de la
Mer Noire, où il ne cesse de souligner l’importance renouvelée de
Constantinople, soulignant (cité deux fois et souligné pages 1 et 4) que « la
voie vers le nouveau marché russe ne passe plus par la mer Baltique, mais par
Constantinople et les ports de la Mer Noire. » (89) Le négoce et les intérêts
économiques suédois en Turquie importaient bien davantage que quelque problème
humanitaire que ce fût.
Conclusion
Compte tenu des données dont
nous disposons, il est manifeste que l’information concernant les massacres
dans l’empire ottoman et leur caractère génocidaire était abondante dans les
journaux suédois, de même que dans les rapports soumis à l’Eglise de Suède, le
ministère suédois de la Défense, le ministère suédois des Affaires Etrangères
et le gouvernement suédois. L’on peut affirmer avec certitude que le
gouvernement suédois avait une vision claire de ce qui se passait en Arménie
Occidentale, durant la Grande Guerre. Quand bien même l’on négligerait
l’information rapportée par les missionnaires et la presse, le gouvernement
suédois, grâce en particulier à son ambassade à Constantinople, mais aussi via
son attaché militaire en Turquie, fut bien informé de la destruction en cours.
Dans ses dépêches adressées à Stockholm, l’ambassadeur Anckarsvärd souligne le
fait que ce qui eut lieu dans l’empire ottoman ne fut ni un acte de massacres
mutuels, ni des mesures prises contre une insurrection arménienne, mais
l’anéantissement systématique, programmé avec soin, de la nation arménienne,
lancé et mis en œuvre par le gouvernement turc. De fait, les rapports évoquent
une collaboration arménienne avec l’armée russe et une résistance armée ici et
là, mais ils montrent aussi clairement que : 1) les actes de vengeance se
produisirent bien après la phase culminante des massacres et des déportations
de 1915-1916, ce qui a pour conséquence que les agissements du gouvernement ne
peuvent être justifiés en tant que mesures prises contre l’insurrection et la
trahison ; 2) la collaboration avec l’ennemi fut d’une portée très limitée et
ne saurait légitimer la mise en œuvre de la destruction de toute la nation
arménienne. Ce point de vue était en outre confirmé par les informations et les
témoignages publiés par les missionnaires et humanitaires suédois, mais aussi
danois, norvégiens, allemands et américains, à leur retour, durant les
dernières années du conflit. Ces rapports indiquent aussi que le gouvernement
turc s’appuyait sur le fait que, tant que la guerre se poursuivrait, le monde
serait dans l’incapacité d’intervenir. Lorsque la guerre prit fin, le génocide
avait atteint son but, vidant l’Arménie Occidentale de ses Arméniens. Ce qui,
en partie, légitimait la thèse selon laquelle il était impossible de créer une
Arménie en se fondant sur l’autodétermination de la nation, tout simplement
parce qu’il ne restait plus aucun Arménien pour prendre cette décision. La date
du premier rapport diplomatique classé indique que Stockholm reçut un
avertissement préalable et eut notification de la catastrophe humanitaire en
cours, lors des premières phases des massacres et des déportations à grande
échelle. Les rapports qui suivent indiquent en outre que les agissements de la
Turquie témoignent d’un Etat violant les droits et la protection de ses
citoyens. A savoir que la Turquie était un Etat qui avait failli, ce qui, en
retour, pouvait justifier une intervention humanitaire.
Un nombre limité de
politiciens, tels que Hjalmar Branting, en appela à l’opinion suédoise afin de
peser sur les décideurs, mais rien n’indique dans les données étudiées que cela
ait eu quelque impact. Il semble que seuls les missionnaires soient passés aux
actes et que, quand et là où c’était possible, ils aient fait tout leur
possible pour abriter les victimes, œuvrant activement pour apporter aide et
nourriture aux déportés, en sauver le plus possible des exécutions, etc. En
dépit de sa connaissance précise de la situation, l’ambassadeur Anckarsvärd
s’abstint de faire quelque recommandation officielle auprès de son gouvernement
à ce sujet, ou de demander à Stockholm quelque directive que ce fût. Cela dit,
il est à noter qu’Anckarsvärd releva les aspects éthiques de la politique
d’anéantissement et le fait que le gouvernement turc se rendit coupable de
crimes contre l’humanité, mais que sa position diplomatique et son obéissance à
la politique de neutralité ne lui ont pas permis d’agir. Contrairement à
Anckarsvärd, Wallenberg joua un rôle actif dans la prise de décision de
Stockholm ou, du moins, l’influença à la base, en plaidant ouvertement pour une
politique spécifique au regard de la question arménienne. Wirsén, lui aussi,
eut globalement connaissance de l’anéantissement, mais ne pouvait avoir, en
tant qu’envoyé militaire, autorité pour se livrer à des commentaires
politiques. Ce n’est que plus tard, lorsqu’il commente son expérience en tant
que missionné, que Wirsén décrit les massacres et la déportation de la nation
arménienne et qu’il tente d’interpréter leur véritable nature, ainsi que les
objectifs des dirigeants turcs. Pour ce qui concerne le gouvernement suédois,
il est nécessaire de procéder à une étude élargie des événements, si l’on veut
évaluer l’action officielle de la Suède, ou son absence. Aucune donnée
n’indique que la Suède ait recouru à quelque protestation ou pression que ce
soit en faveur d’une intervention humanitaire. Néanmoins, l’absence d’information
en ce sens ne permet pas d’interpréter dans sa globalité la position
officielle. Plus tard, cependant, lorsque la question d’une puissance
mandataire fut soulevée, la Suède agit à l’instar des autres nations, peu
désireuse de s’impliquer dans un pays aussi éloigné. L’expression du
correspondant suédois, posant la question « Pourquoi moi ? », illustre donc
fort bien le sentiment dominant en Suède au regard de la lointaine Arménie.
Elargir le cadre de cette
étude et tenter de découvrir de quelle manière les autorités suédoises
analysèrent les informations reçues au sujet des massacres arméniens
permettrait de dégager de nouvelles perspectives sur les données présentées
dans cet article. De quelle manière un petit Etat réagit-il, lorsqu’il est
confronté à des informations sur une crise humanitaire en cours et au choix
d’intervenir ? De quelles alternatives disposait Stockholm, comment discutaient
les décideurs et que décidèrent-ils ? Les crises humanitaires majeures, telles
qu’un génocide, remettent-elles en question la doctrine fondamentale des
politiques des petits Etats ou bien celle d’une organisation internationale,
comme les Nations Unies ? Comment une intervention humanitaire efficace
peut-elle être mise en œuvre lors d’un conflit régional majeur ou régional,
lorsque la partie responsable est déjà en guerre avec des intervenants
potentiels ? Une intervention de la part d’Etats étrangers est-elle toujours
impossible, lorsqu’un génocide est commis durant une guerre globale ?
Existe-t-il des solutions alternatives à une intervention militaire ? Si l’on
veut traiter ces questions, d’autres facteurs doivent être ajoutés à
l’équation, comme la dynamique de la politique étrangère de la Suède,
consistant à abandonner sa stricte neutralité en s’engageant dans la Société
des Nations, mais aussi la menace, perçue comme imminente, émanant de la
nouvelle Russie
bolchevik.
Notes
1. Cet article est un court
résumé de mon mémoire de maîtrise et, en raison des limites imparties, n’inclut
pas l’intégralité des articles, documents et rapports concernant le génocide en
cours dans l’empire ottoman. Voir Vahagn Avedian, The Armenian Genocide 1915
: From a Neutral Small State’s Perspective (mémoire de maîtrise, université
d’Uppsala, 2008 ; http://www.armenica.org/material).
2. Mariam Bakhtiari, Kalla det vad fan du
vill (Stockholm : Ordfront, 2005), p. 9. Dans le
texte suédois, « wogs » se traduit par « svartskalle, » littéralement « tête
noire », par référence à la couleur sombre des étrangers, qui contraste avec la
couleur châtain clair de la chevelure des Suédois autochtones. Voir aussi Tomas
Hammar, Sverige åt svenskarna : Invandringspolitik, utlänningskontroll och
asylrätt, 1900-1932 (Stockholm : Université de Stockholm, 1964), p. 69-71.
Sauf indication contraire, toutes les traductions à partir de sources non
anglaises sont de moi.
3. Un des arguments utilisés
par la Turquie de nos jours pour éviter de reconnaître le génocide de 1915
renvoie à une prétendue distinction entre « [Etat] Ottoman » et « Turquie, »
soutenant que la Turquie n’existait pas avant 1923, et que l’Etat actuel ne
saurait être responsable de quelque action que ce soir, commise par le
gouvernement ottoman. Or, lorsque l’on étudie la période en question, il
devient évident que cette transformation de l’Etat ottoman en Turquie est déjà
en cours. Plusieurs Etats étrangers, dans leur correspondance, rapports et
documents diplomatiques, utilisent le mot « Turquie » ou « Turquie ottomane »
pour désigner cet Etat. Cet article utilisera donc le terme de Turquie,
lorsqu’il se réfère à l’empire ottoman. Pour de plus amples informations, voir Vahakn
N. Dadrian, The Key Elements in the Turkish Denial of the Armenian Genocide
: A Case Study of Distortion and Falsification (Toronto : Zoryan Institute,
1999), p. 5-6.
4. Pour de plus amples informations, voir
Vahakn N. Dadrian, « The Armenian Question and the Wartime Fate of the Armenians
as Documented by the Officials of the Ottoman Empire’s World War I Allies :
Germany and Austro-Hungary, » International Journal of Middle East Studies
34, no. 1 (February 2002), p. 59-85 ; Vahakn N. Dadrian, The History of the
Armenian Genocide : Ethnic Conflict from the Balkans to Anatolia to the
Caucasus (Providence, RI : Berghahn, 2004). Voir aussi W.J. van der Dussen,
« The Question of Armenian Reforms in 1913-1914, » The Armenian Genocide,
Documentation, vol. 8 (München : Institut für Armenische Fragen, 1991).
5. Gunilla Lundström, Per Rydén et Elisabeth
Sandlund, Den svenska pressens historia, Det moderna Sveriges spegel
(1897-1945), vol. 3 (Stockholm : Ekerlid, 2001), p. 124.
6. Tommy Hansson, Neutralitetsmyten : En
granskning av svensk utrikespolitik (Stockholm : Contra, 1991), p. 20.
7. Erik Lönneroth, Den svenska
utrikespolitikens historia (Stockholm : Norstedt, 1959), p. 27.
8. Maria Anholm, De dödsdömda folkens saga
(Stockholm : Nordiska öresbibliotek, 1906) ; E. John Larson, Förföljelserna
och blodbaden i Armenien : Särskild från år 1894 till år 1897 (Helsingborg
: Missionsbokhandeln, 1897) ; Per Pehrsson, Armenierna och deras nöd
(Stockholm, 1896).
9. Riksarkivet [Archives
Nationales] (RA), correspondance des missionnaires suédois relative à l’Arménie.
Sur la description du génocide arménien par Alma Johansson, voir Alma
Johansson, Ett folk i landsflykt : Ett år ur armeniernas historia (Stockholm
: Kvinnliga Missions Arbetare, 1930).
10. Gustaf Hjalmar Pravitz, Från
Persien i stiltje och storm (Stockholm : Dahlberg, 1918).
11. Les sympathies
pro-allemandes du Nya Dagligt Allehanda déboucheront sur une adhésion
pleine et entière au national-socialisme dans les années 1930.
12. Pravitz, Från Persien i stiltje
och storm, p. 222.
13. Nya Dagligt Allehanda (Stockholm),
23 avril 1917.
14. Pravitz, Från Persien i stiltje
och storm, p. 221.
15. Ibid., p. 22,
226-27.
16. Ibid., p. 219,
221-23.
17. Le hasard voulut que
Wirsén fût le même officier militaire suédois à être nommé président de la
commission que la Société des Nations chargea d’arbitrer la crise de Mossoul.
C’est sa connaissance détaillée de la région, son expérience de la guerre et sa
familiarité avec la situation d’alors qui firent de lui un atout important au
sein de la commission nommée pour résoudre cette crise.
18. Carl Einar af Wirsén, Minnen från fred
och krig (Stockholm : Bonnier, 1942), p. 132.
19. Ibid., p. 133.
20. Ibid., p. 220-26. Voir
aussi p. 120, 288 et 294.
21. Ibid., p. 223.
22. Ibid., p. 223.
23. Ibid., p. 226. Ce point de vue est confirmé aussi par Dadrian. Voir Dadrian, The History of the Armenian
Genocide Ethnic Conflict from the Balkans to Anatolia to the
Caucasus, p. 289, 384-85.
24. Wirsén, Minnen från fred och krig,
p. 226.
25. Riksarkivet, Utrikesdepartementet
[Affaires Etrangères], 1902 års dossiersystem, vol. 1148, no. 99 (30 avril
1915), p. 3.
26. Le terme de Sublime Porte
renvoie à celle du gouvernement impérial ottoman, plus précisément le ministère
des Affaires Etrangères.
27. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1148, no. 99 (30 avril 1915), p. 5.
28. Svenska Morgonbladet
(Stockholm), 26 mai 1915.
29. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1148, no. 137 (6 juillet 1915).
30. Le Comité Union et Progrès
[« İttihad ve Terraki Cemiyeti » en turc] constituait l’instance dirigeante
centrale du mouvement connu en Occident sous le nom de Jeunes-Turcs.
31. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1148, no. 142 (14 juillet 1915).
32. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1148, no. 145 (15 juillet 1915).
33. Sur le Projet Madagascar, voir
Christopher R. Browning, The Origins of the Final Solution : The Evolution
of Nazi Jewish Policy, September 1939-March 1942 (London : Heinemann,
2004), p. 81-83.
34. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1148, no. 155 (22 juillet 1915).
35. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1148, no. 170 (18 août 1915).
36. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1148, no. 182 (2 septembre 1915).
37. Barbara von Tigerstrom, Human Security
and International Law : Prospects and Problems (Oxford : Hart Publishing,
2007), p. 96, 102-103. Voir aussi Catherine Lu, « Whose Principles ? Whose
Institutions ? Legitimacy Challenges for ‘Humanitarian Intervention,’ » in Humanitarian
Intervention, ed. Terry Nardin and Melissa S. Williams (New York : New York
University Press, 2006), p. 197 ; Thomas G. Weiss, Humanitarian Intervention
: Ideas in Action (Cambridge : Polity Press, 2007), p. 18.
38. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1148, no. 183 (4 septembre 1915).
39. Svenska Morgonbladet,
4 octobre 1915.
40. Svenska Morgonbladet,
11 octobre 1915.
41. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
1902 års dossiersystem, vol. 1149a, no. 20 (15 janvier 1916).
42. Krigsarkivet [Archives de
Guerre], Generalstaben, Lettre 13 (13 mars 1916).
43. Krigsarkivet, Generalstaben,
Lettre 8 (13 mai 1916).
44. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1149a, no. 80 (20 mai 1916).
45. Dagens Nyheter
(Stockholm), 7 juin 1916.
46. Dagens Nyheter, 30
août 1916.
47. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1149a, no. 137 (25 septembre 1916).
48. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1149a, no. 9 (5 janvier 1917).
49. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1149a, no. 14 (14 janvier 1917).
50. Dagens Nyheter, 24
mars 1917.
51. Riksdagens arkiv, Andra
kammaren, Interpellationer [Seconde Chambre du Riksdag, Interpellations] 35
:29-30 et 62 :7-8 (23 mars 1917).
52. Riksdagens arkiv, Andra
kammaren, Interpellationer 62 :10 (23 mars 1917). Allusion aux massacres et
aux exactions perpétrées par l’armée du Kaiser en Wallonie et dans les Flandres
en août 1914 [NdT].
53. Svenska Morgonbladet,
28 mars 1917.
54. Social-Demokraten
(Stockholm) (27 mars 1917) ; Svenska Dagbladet, 28 mars 1917.
55. Social-Demokraten,
27 mars 1917.
56. Svenska Morgonbladet,
2 avril 1917.
57. Dagens Nyheter, 11
avril 1917.
58. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1149b, no. 232 (20 août 1917).
59. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1149b, no. 260 (10 septembre 1917).
60. Ibid.
61. Ibid.
62. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1149b, no. 58 (22 avril 1918).
63. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1150, no. 118 (25 août 1918).
64. Hrant Pasdermadjian, Histoire
de l’Arménie depuis les origines jusqu’au traité de Lausanne (Paris :
Librairie Orientale H. Samuelian, 1949), p. 494.
65. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1150, no. 143 (8 octobre 1918).
66. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. 1150, no. 5 (10 janvier 1919).
67. Bert Edström, Storsvensken i yttersta
östern : G.O. Wallenberg som svenskt sändebud i Japan, 1906-1918 (Stockholm
: Centre Universitaire d’Etudes sur l’Asie et l’Océan Pacifique, 1999), p. 6.
68. Ibid., p. 13-16.
69. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
1920 års dossiersystem, vol. HP 1474, no. 55 (26 janvier 1920).
70. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. HP 1474, no. 55 (26 janvier 1920).
71. Ibid.
72. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. HP 1474, no. 160 (12 avril 1920).
73. Ibid.
74. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. HP 904, Telegram, Paris 0305/23 40W 23 18 40, Cabinet Stockholm (24 avril
1920).
75. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. HP 1474, no. 74 (26 avril 1920).
76. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. HP 1474, no. 69 (17 mars 1921).
77. Ibid.
78. Ibid. L’excellent essai
descriptif de Richard Hovannisian, Armenia on the Road to Independence, 1918,
livre cependant une image fort différente de celle dépeinte par Wallenberg. Voir Richard G.
Hovannisian, Armenia on the Road to Independence (Berkeley : University
of California Press, 1967).
79. Dagens Nyheter, 22
octobre 1920.
80. Göran Gunner et Erik
Lindberg, éd., Längtan till Ararat. En bok om Armenien och armenisk identitet (Göteborg : Gothia, 1985),
p. 273.
81. Sur la doctrine grotienne
relative aux questions de politique et de responsabilité internationales, et
sur l’intervention humanitaire en particulier, voir John G. Heidenrich, How
to Prevent Genocide : A Guide for Policymakers, Scholars, and the Concerned Citizen
(Westport, CT : Praeger, 2001), p. 135. Voir aussi Kok-Chor Tan, « The Duty to
Protect, » in Humanitarian Intervention, ed. Terry Nardin and Melissa S.
Williams (New York : New York University Press, 2006), p. 84-116, 89.
82. League of Nations, Assembly
Protocol [Société des Nations, Protocole de l’Assemblée] (22
novembre 1920), p. 187.
83. League of Nations, Official
Journal [Société des Nations, Journal Officiel], no. 8,
novembre-décembre 1920, p. 96.
84. Ibid., p. 96-97.
85. Nya Dagligt Allehanda,
23 novembre 1920.
86. Ecrit le 24 novembre et
publié in Social-Demokraten, 29 novembre 1920.
87. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. HP 1474, no. 234 (19 octobre 1921).
88. Ibid.
89. Riksarkivet, Utrikesdepartementet,
vol. HP 566B, no. 267 (15 novembre 1921).
[Vahagn Avedian est
rédacteur en chef du site www.armenica.org.]
___________
Source : http://utpjournals.metapress.com/content/u62lr895283260v5/?p=4c0020f54fe143b7865a097763a03a0f&pi=6
Traduction : © Georges Festa – 05.2013. Tous droits réservés.
Avec l’aimable autorisation de Vahagn Avedian.
Traduction : © Georges Festa – 05.2013. Tous droits réservés.
Avec l’aimable autorisation de Vahagn Avedian.
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