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mardi, mai 14, 2013

Le génocide arménien de 1915, du point de vue d’un petit Etat neutre : la Suède

Info Collectif VAN - www.collectifvan.org – Le Collectif VAN vous invite à lire la traduction de Georges Festa d'un article en anglais de Vahagn Avedian publié sur le site Genocide Studies and Prevention, mise en ligne sur le site Armenian Trends - Mes Arménies le 4 mai 2013.

Armenian Trends - Mes Arménies

Vahagn Avedian : Le génocide arménien de 1915, du point de vue d’un petit Etat neutre : la Suède / The Armenian Genocide of 1915 from a Neutral Small State's Perspective : Sweden

samedi 4 mai 2013

par Vahagn Avedian

Genocide Studies and Prevention, Vol. 5, Number 3, Dec. 2010



[Cette étude présente de quelle manière les massacres arméniens dans l’empire ottoman, durant la Première Guerre mondiale, furent perçus par un petit Etat neutre, à savoir la Suède. La connaissance qu’en eut la Suède revêt un intérêt particulier, dans la mesure où, Etat neutre durant l’intégralité du conflit, la Suède n’était pas directement impliquée ou intéressée par le conflit en cours ; chaque rapport sur ces évènements n’est donc pas susceptible d’être partisan, comparé à ceux de l’Entente ou des alliés de la Turquie. L’information concernée est par ailleurs essentielle, si l’on veut comprendre la réaction de la Suède qui s’ensuivit. Néanmoins, étudier dans sa globalité la masse d’informations nécessaire pour comprendre et analyser de manière exhaustive la réaction aux massacres dépasse le cadre de cet article et requiert une étude plus large. Cette article aborde ainsi la première partie, à savoir recenser l’information concernée, tandis que l’analyse des réactions, en particulier celles d’un petit Etat neutre lors d’un conflit global en cours, fera l’objet d’études ultérieures. L’information examinée dans cette étude montre que l’information sur les massacres arméniens dans l’empire ottoman était abondante.]

« Voyez ce qui est écrit. Les premiers à être appelés métèques [svartskallar] furent des mendiants arméniens. Ils furent expulsés de Suède, car il était interdit de mendier. » (2) Les mendiants en question étaient des Arméniens survivants des massacres dans l’empire ottoman.

De nos jours, la république de Turquie rejette quasiment chaque document d’archive historique présenté par les puissances de l’Entente, durant la Première Guerre mondiale, y voyant une propagande de guerre, ayant pour seul objectif de diffamer la Turquie. D’autre part, les archives turques sur ce sujet sont éludées par les chercheurs sur le génocide, au motif qu’elles sont peu fiables, relevant d’une opération de falsification et de dissimulation de la part du gouvernement turc. (3) Cela dit, il convient de noter que les recherches sur les archives de l’Allemagne et de l’Autriche, alliées de la Turquie lors de la Grande Guerre, confirment la version de l’Entente, plutôt que celle de la Turquie. (4) Les observations d’une nation neutre sur cet événement sont néanmoins susceptibles d’être exemptes de tout soupçon de parti pris en faveur de telle ou telle partie prenante du conflit. Une de ces nations fut les Etats-Unis, qui resta neutre dans le conflit jusqu’en avril 1917. Les rapports et observations établis par leur ambassade, ainsi que les missionnaires et humanitaires américains à travers la Turquie, constituent une part importante des données sur les massacres arméniens, puisque les Américains furent la seule grande puissance (excepté l’Allemagne et l’Autriche) à être restée en Turquie, après le déclenchement de la guerre. Leur présence en Turquie, ainsi que leur neutralité, prit fin en avril 1917, lorsque les Etats-Unis entrèrent en guerre aux côtés de l’Entente. La Suède, quant à elle, demeura neutre durant tout le conflit et ses rapports et actions qui s’ensuivirent ne sauraient être imputés à quelque engagement suédois en faveur de tel ou tel camp en conflit.

L’ambition d’une telle étude serait d’évaluer dans quelle mesure la Suède eut connaissance des massacres, quelles alternatives eussent pu être entreprises, quelles furent celles que choisit la Suède, et pourquoi. Néanmoins, pour mener cette enquête dans les limites qui lui sont imparties, cet article se focalisera sur le contenu des rapports, l’information et les analyses qui parvinrent en Suède au regard des massacres d’Arméniens et du sort de l’Arménie, réservant les trois autres questions pour des études ultérieures.

La presse suédoise, les missions chrétiennes, les missions militaires et les rapports de l’ambassade

Durant la Première Guerre mondiale, la presse suédoise consacra une place notable aux efforts de guerre, comme ses homologues dans d’autres pays. Entre autres, un bureau spécial fut constitué afin d’alimenter les journaux suédois en articles de la presse allemande. « Une cinquantaine de journaux en furent destinataires, principalement des publications conservatrices, mais aussi plusieurs titres de la presse libérale. » (5) Le fait qu’un aussi grand nombre de journaux fut sous influence allemande a probablement impacté la version rapportée des événements en cours en Turquie. Afin d’influencer encore plus l’opinion suédoise, l’Allemagne acheta secrètement la majorité des parts dans les journaux Aftonbladet et Dagen. Avec un tirage total de 92 000 exemplaires, ces journaux égalaient la diffusion de leurs confrères Dagens Nyheter et Social-Demokraten, favorables à l’Entente. (6) Ce qui peut expliquer pourquoi les informations sur les massacres en Arménie constituèrent un événement relativement réduit dans les reportages sur le front. Les ressources des journaux suédois ne leur permettaient pas d’employer leurs propres correspondants étrangers. Ce qui signifie qu’une grande part des informations concernant les affaires internationales était obtenue auprès d’agences d’information étrangères, en colorant souvent le point de vue des reportages. Néanmoins, jusqu’à la prise de pouvoir par Hitler en Allemagne, la politique étrangère des grands titres suédois visa moins à influencer l’opinion publique qu’à débattre et proposer des clés concernant les grands sujets internationaux. (7)

Si l’information publiée par les journaux constituait un « renseignement de seconde main », obtenu d’agences d’information étrangères, il existait d’autres sources d’information, plus fiables, établies par des individus présents en Turquie. Ces documents sont les rapports et dépêches émanant des missionnaires suédois en Turquie et au Caucase, de l’ambassadeur de Suède en Turquie et de l’attaché militaire suédois à Constantinople. Ces documents se trouvent pour l’essentiel dans les Archives Nationales, mais certains ont été publiés sous forme de Mémoires. 

Les matériaux appartenant aux missionnaires suédois ont été collectés à partir de différentes sources : opuscules, brochures et ouvrages publiés durant la période 1915-1923, ainsi que des Mémoires publiés ensuite, qui contiennent des récits de témoins oculaires et autres sur la période étudiée ; lettres et rapports émanant de missionnaires sur le terrain, adressés à l’Eglise de Suède, relatifs à l’état des missions, tout en décrivant la situation de leur paroisse. Ces documents se trouvent aux Archives Missionnaires, administrées en partie par l’Eglise de Suède et en partie par les Archives Nationales Suédoises.

Les rapports et signalements établis par les missionnaires suédois en Turquie et au Caucase remontent à la fin du 19ème siècle et aux massacres de 1894-1896. (8) Mes recherches dans la correspondance des missionnaires pour la période 1914-1917 n’ont pas, toutefois, révélé d’informations particulières. L’étude de ces lettres montre que leur volume, en particulier en provenance de Turquie, diminue très sensiblement lors de l’éclatement de la Grande Guerre. Stationnée à Moush, en Arménie Occidentale, depuis 1910, Alma Johansson, par exemple, envoie environ deux ou trois lettres par mois en Suède. Durant toute la période 1914-1917, néanmoins, l’on ne compte que quatre lettres d’elle dans les archives. (9) Katarina Thurell, archiviste à la Svenska Missionskyrkan [Eglise Evangélique de Suède], explique que le manque d’informations de la part des missionnaires dans toute l’Europe, durant la Première Guerre mondiale, est un phénomène courant. Les raisons sont multiples : la guerre contraignit de nombreux missionnaires à quitter leurs terres de mission, tout en suscitant des problèmes de communication ; la rareté de l’information était aussi due à la censure en temps de guerre et au contrôle exercé sur le flux d’informations. Les lettres émanant des missionnaires devaient passer par des canaux militaires. Cette censure avait pour conséquence que les lettres parvenaient plusieurs mois, sinon plus, après avoir été écrites. Il est probable que certaines ne soient jamais arrivées à destination. S’il est vrai que les missionnaires allemands et autrichiens restèrent dans la région jusqu’à la fin du conflit, la censure exercée par les gouvernements allemand et autrichien au regard de l’effort de guerre en général et à la réputation de leur allié turc en particulier, interdisait toute publication de l’information et des observations relayées chez eux par les missionnaires.

Il existe deux publications, plus volumineuses, sous forme de brochures, intitulées Blod och tårar : Armeniernas lidanden i Turkiet [Du sang et des larmes : les souffrances des Arméniens en Turquie] et Vad en tysk lektor i asiatiska Turkiet upplevde i 1915 [Souvenirs d’un conférencier allemand en Turquie asiatique en 1915]. La première est un recueil de témoignages, de lettres et d’articles émanant de différents personnels médicaux, de missionnaires, de militaires et de survivants arméniens, sur les massacres dans l’empire ottoman, ces sources ne livrant pas toutes une information de première main. La seconde brochure relate ce que vécut le docteur Martin Niepage, professeur hautement qualifié à l’Institut Technique Allemand d’Alep. Son article se focalise essentiellement sur l’information devant être considérée comme plus fiable, excluant de nombreuses informations transmises de bouche à oreille. Le contenu des deux brochures livre un aperçu intéressant sur les événements, sous la forme de témoignages de première main, mais aussi d’analyses sur la manière avec laquelle ces massacres furent perçus. Figurent, en outre, quelques récits de témoins oculaires non suédois, traduits et publiés en suédois, inclus dans la présente étude.

Les rapports, lettres et brochures des missionnaires suédois constituèrent néanmoins une autre manière de toucher l’opinion publique, en amenant et en convainquant la population civile suédoise de contribuer à l’aide et aux collectes humanitaires en faveur des victimes et des survivants des massacres arméniens. Tout en témoignant du degré de connaissance des événements par l’Eglise de Suède et de ses priorités d’actions au regard des massacres, comme des agissements des missionnaires en Arménie Occidentale.

Si l’on veut approfondir le « degré de fiabilité » des rapports, leur impact sur le niveau de connaissance qu’en avait l’Etat suédois et sa base de décision, il existe les rapports des personnels militaires suédois. Le témoignage militaire suédois le plus fréquemment cité, utilisé par les négationnistes du génocide arménien, est celui du major Gustav Hjalmar Pravitz. En réalité, celui-ci était stationné en Perse, et non dans l’empire ottoman. Pravitz faisait partie de la Mission militaire suédoise, envoyée en Perse pour améliorer le fonctionnement de la gendarmerie et de la police. (10) En 1918, Pravitz publia ses Mémoires intitulés Från Persien i stiltje och storm [Ecrits de Perse, dans la paix et la tourmente] ; un an plus tôt, toutefois, il publia un extrait du livre dans le Nya Dagligt Allehanda (11), où il fait cette intéressante observation : « En général, selon moi, on peut dire qu’une persécution incessante, fût-elle clémente, est moins supportable à endurer qu’un acte de despotisme sanglant, mais bref, comme les agressions de ce genre qui, de temps à autre, attirent l’attention de l’Europe sur la question arménienne. » (12) Lors de son voyage en Turquie pour atteindre la Perse, Pravitz reconnaît avoir vu des cadavres et des moribonds, mendiant pour une bouchée de pain, mais, à une exception près, il ne vit pas les violences présumées, exercées à l’encontre des « émigrants » arméniens. (13) Il dit aussi avoir rencontré un Arménien dans un camp de concentration [« koncentrationsläger »], choix de mots intéressant dans le cadre de cette étude. (14) Pour mettre en perspective les observations de Pravitz et son interprétation de la situation des Arméniens, il importe d’étudier aussi son opinion personnelle sur le peuple arménien. Dans son ouvrage, Pravitz donne son point de vue sur la Perse, les Persans et les minorités vivant dans le pays. Un grand pan de la première partie du chapitre 10, intitulé « Mon second voyage en Perse, » dans lequel il évoque la « Question arménienne, » livre plus ou moins le même contenu que son article paru dans le Nya Dagligt Allehanda. Par ailleurs, sa description de l’élément arménien n’est guère flatteuse. Juifs et Arméniens sont présentés comme des « marchands fourbes » et les Arméniens comme « généralement peu fiables. » (15) En général, écrit-il, les mesures « sanglantes » du gouvernement turc envers les Arméniens « déloyaux » sont tout à fait justifiées, même si des innocents ont aussi souffert. (16) Les parallèles avec l’argumentaire relatif à la Shoah sont trop frappants pour être ignorés ici.

L’étude des archives militaires suédoises révèle néanmoins un autre point de vue, totalement opposé, exprimé par quelqu’un qui fut bien plus proche des événements, à savoir celui du capitaine Einar af Wirsén (qui deviendra plus tard major), l’attaché militaire de Suède à Constantinople, de 1915 à 1920. (17) Dans ses Mémoires, Minnen från fred och krig [Mémoires en temps de paix et de guerre], publiés en 1942, faisant référence à l’humour quelque peu horrible de Talaat, il cite la réponse suivante que lui fit ce dernier au sujet des massacres arméniens : « Je lis dans le Times que nous aurions exécuté, autrement dit tué, pas moins de 800 000 Arméniens. Je vous assure que cela est faux. Ils ne furent que 600 000. » (18) Djémal Pacha se montrait toutefois plus modéré et « désapprouvait les massacres arméniens. » (19) L’ouvrage se fonde sur le vécu et les souvenirs de Wirsén, durant ses fonctions en tant qu’attaché militaire dans les Balkans et en Turquie. L’A. y démontre de manière plus détaillée sa connaissance du génocide arménien. Bien que publié en 1942, le livre donne un aperçu de la manière avec laquelle les événements furent interprétés par l’attaché militaire de Suède en Turquie, lorsqu’ils se produisirent. Dans le chapitre intitulé Mordet på en nation [« Meurtre d’une nation »], Wirsén retrace brièvement le contexte de la question arménienne, avant de décrire les atrocités perpétrées par la gouvernement turc durant la guerre. (20) Il juge discutables les accusations de collaboration des Arméniens avec les Russes. (21) Les déportations qui s’ensuivirent ne firent que couvrir l’extermination : « Officiellement, elles avaient pour but de déplacer la population arménienne dans son ensemble vers les steppes du nord de la Mésopotamie et de la Syrie, mais en réalité elles visaient à exterminer [utrota] les Arméniens, moyennant quoi l’élément turc pur d’Asie Mineure parviendrait à une position dominante. » (22) Wirsén souligne le fait que les ordres furent donnés avec la plus grande habileté. Les informations étaient en général transmises verbalement et dans le plus grand secret, afin de donner au gouvernement les mains libres dans la mise en œuvre des massacres. (23) Décrivant les méthodes utilisées pour massacrer les Arméniens et priver les survivants des nécessités élémentaires, pour qu’ils meurent de faim et de maladie, Wirsén note que « l’anéantissement de la nation arménienne en Asie Mineure ne peut que révolter tous les sentiments d’humanité. […] La manière avec laquelle le problème arménien fut réglé est à faire frémir. Je vois encore devant moi l’expression cynique de Talaat, soulignant que la question arménienne avait été résolue. » (24)

Les rapports militaires sont d’une grande importance, car l’attaché militaire de Suède, en tant que représentant d’un Etat neutre, était autorisé à se rendre sur les lignes de front et à collecter des informations sur les campagnes et les agissements en cours dans l’empire ottoman. Il recevait des rapports émanant des services secrets militaires, expédiés non seulement par les Turcs, mais aussi par les Allemands et les Autrichiens servant dans l’armée ottomane. Ces rapports montrent que Wirsén prenait la liberté de faire des recommandations au sujet de certaines activités visant la Turquie et l’Allemagne, ce qui laisse penser que ses analyses importaient au regard de l’élaboration de la politique étrangère suédoise.

Le 30 avril 1915, l’ambassadeur de Suède à Constantinople, Per Gustaf August Cosswa Anckarsvärd, rédige une dépêche de cinq pages sur le thème de l’armeniska frågan [question arménienne] et le mouvement révolutionnaire arménien. Relevant que le « fantôme de la soi-disant question arménienne » est réapparu dans les régions intérieures du pays, Anckarsvärd livre une description chronologique assez détaillée sur ce sujet. (25) Anckarsvärd mentionne le fait que la Sublime Porte (26), se fondant sur des renseignements des services secrets quant aux plans des révolutionnaires, a procédé à une arrestation en masse d’environ 400 Arméniens à Constantinople, tandis que de nombreux autres ont été de même incarcérés dans d’autres villes. « Parmi les personnes arrêtées figurent beaucoup de journalistes, médecins et avocats arméniens. Ils ont été envoyés à Angora [Ankara], dans l’attente d’un procès devant une cour martiale. » (27) Anckarsvärd se réfère ici à la rafle des intellectuels arméniens à travers l’empire, en particulier à Constantinople.

Le 26 mai 1915, le Svenska Morgonbladet publia le télégramme suivant, reçu de Paris : « Depuis un mois environ, les populations kurdes et turques en Arménie, tombées d’un commun accord et avec l’aide du gouvernement turc, ont commis des massacres de masse sur les Arméniens. Massacres qui ont eu lieu à partir de la mi-avril à Erzéroum, Dertsjun [Ter-Djan], Egin, Bitlis, Moush, Sassoun et autres. » (28) Le 6 juillet 1915, Anckarsvärd expédie un rapport de deux pages intitulé « Les persécutions arméniennes, » une expression utilisée en titre de six autres rapports durant l’année 1915. Il est écrit ce qui suit :

« Les persécutions arméniennes ont atteint des proportions à faire frémir et tout indique que les Jeunes-Turcs veulent saisir l’occasion, puisque aucune pression extérieure efficace n’est à redouter pour plusieurs raisons, de mettre un terme, une fois pour toutes, à la question arménienne. Le moyen d’y parvenir est très simple et réside dans l’extermination [utrotandet] de la nation arménienne. […] Il ne semble pas que ce soit la population turque qui agisse de son propre chef, mais que toute cette opération trouve son origine au sein des instances gouvernementales et du Comité Jeune-Turc, lequel se tient derrière le gouvernement et affiche maintenant ouvertement le genre d’idées qu’il cultive. […] L’ambassadeur d’Allemagne a fait appel par écrit auprès de la Porte, mais que peut faire l’Allemagne ou tout autre grande puissance, tant que la guerre se poursuit ? Le fait que les Puissances centrales puissent menacer la Turquie est pour l’heure impensable, et la Turquie est déjà en guerre avec la majorité des grandes puissances restantes. » (29)

Pour la première fois, Anckarsvärd pointe ici deux observations importantes : 1) les tueries de masse sont orchestrées avec le Comité Union et Progrès à l’arrière-plan, et 2) leur objectif est d’ « exterminer la nation arménienne. » Les atrocités justifierait pourtant une nouvelle intervention de l’Europe, mais une fois la guerre achevée. L’analyse du caractère désespéré de la situation par l’ambassadeur de Suède souligne aussi la conscience qu’avait la Turquie d’une fenêtre d’opportunité, provoquée en partie par la passivité de ses alliés et l’impuissance des pays étrangers (nations neutres et hostiles), qui leur fournissait une occasion de mettre en œuvre sa « solution finale. » Le rapport d’Anckarsvärd expose la nécessité fondamentale d’une intervention humanitaire, mais ni l’Etat ami (l’Allemagne), ni les autres grandes puissances en mesure de mettre sur pied ce genre d’intervention n’étaient en position d’interférer pour arrêter le génocide.

Peu après, le 15 juillet 1915, Anckarsvärd informe Stockholm d’un avertissement adressé à la Porte par l’ambassadeur d’Allemagne au sujet des massacres arméniens. « La Turquie risque, en particulier aux yeux des nations neutres et avant tout en Amérique, de susciter la plus grande réprobation. En outre, les agissements illégaux et les excès des organismes gouvernementaux turcs ouvrent la voie à une intervention de l’Europe et à son ingérence dans les affaires intérieures de la Turquie, dès que la guerre aura cessé. » (31) La question d’une intervention humanitaire était clairement posée, tout en établissant le fait que ce genre d’action, du fait de la situation d’alors, arriverait presque à coup sûr trop tard pour sauver les Arméniens.

Le rapport d’Anckarsvärd en date du 15 juillet 1915 précise que le « Patriarche arménien a demandé au ministre de la Justice et de la Culture si son intention est d’anéantir la nation arménienne tout entière, auquel cas il est prêt à lancer une opération afin d’organiser une émigration de masse vers, entre autres lieux, les pays d’Amérique du Sud. De la sorte, les Turcs se débarrasseraient des Arméniens et les Arméniens connaîtraient moins de souffrances que maintenant. » (32) Proposition très semblable au projet malgache des nazis. (33)

Le 22 juillet 1915, Anckarsvärd informe son ministère des Affaires Etrangères que non seulement les Arméniens subissent des persécutions, mais aussi les Grecs, qui connaissent le même sort. Le chargé d’affaires grec à Constantinople, M. Tsamados, lui a expliqué : « Elles [les déportations] n’ont d’autre objet qu’une guerre de destruction contre la nation grecque en Turquie ; les mesures qui sont prises par les Turcs visent donc à mettre en place des conversions forcées à l’islam ; l’objectif évident étant que, si à la fin de la guerre se posait à nouveau la question d’une intervention européenne, afin de protéger les chrétiens, il en restât le moins possible. » (34)

Le 18 août 1915, l’ambassadeur de Suède notifie à Stockholm une nouvelle protestation de l’Allemagne contre les massacres en cours. La note de l’ambassadeur allemand contient un « ton beaucoup plus grave, » soulignant que l’Allemagne ne peut voir sans réagir « comment la Turquie, via les persécutions arméniennes, périclite au plan moral et économique. De plus, ils [les Allemands] ont protesté contre les agissements en cours de la Porte, du fait que l’Allemagne, son alliée, commence à être soupçonnée d’approuver ces agissements et qu’enfin, l’Allemagne décline toute responsabilité quant aux conséquences. » (35) Le 2 septembre 1915, Anckarsvärd expédie un nouveau rapport précisant qu’il « est évident que les Turcs saisissent l’occasion, durant la guerre présente, d’anéantir [utplåna] la nation arménienne, en sorte que, une fois la paix venue, la question arménienne ne se pose plus. […] Il est à noter que les persécutions arméniennes ont été perpétrées à l’instigation du gouvernement turc et ne relèvent aucunement d’une éruption spontanée de fanatisme turc, même si ce fanatisme est utilisé et joue un rôle. La tendance à s’assurer que la Turquie ne soit peuplée que de Turcs peut, à la longue, se manifester d’une manière horrible à l’égard des Grecs et aussi des autres chrétiens. » (36) Anckarsvärd montre très clairement que les massacres ne furent ni un acte de vengeance, ni une question de guerre civile ou intérieure, mais un carnage systématique, planifié et mis en œuvre par l’Etat, à savoir un génocide. Le Turquie avait donc le comportement d’un Etat en déliquescence, dans lequel la structure et les normes en matière de sauvegarde des droits de l’homme de ses citoyens étaient suspendus ou ignorés. (37)

La dépêche du 4 septembre 1915 présente le bilan des pertes arméniennes, établi par le Patriarche arménien. Anckarsvärd confirme son estimation, selon laquelle la moitié de la population arménienne a été liquidée, mais doute que celle-ci soit aussi nombreuse que deux millions d’habitants, chiffre avancé par le Patriarche. Anckarsvärd note aussi l’impact économique négatif de ces persécutions en Turquie, puisque près de 80 % du commerce était aux mains des Arméniens. (38)

Le 4 octobre 1915, le Svenska Morgonbladet affirme que l’ambassadeur des Etats-Unis à Constantinople, Henry Morgenthau, a reçu l’ordre de la part de son gouvernement d’adresser un avertissement au ministre turc des Affaires Etrangères, précisant que « si les massacres arméniens ne cessent pas, les relations d’amitié avec les Etats-Unis seront mises en péril. » (39) Quoi qu’il en soit, jamais une directive similaire ne fut émise par Stockholm. Au lieu d’exprimer de vives protestations, la presse suédoise commença par mettre en doute la crédibilité de cette information, citant les explications du gouvernement turc selon lequel ces mesures étaient nécessaires, du fait des relations des Arméniens avec les Russes, les Britanniques et les Français. (40) L’année 1915 abonde cependant en notes et en rapports sur la destruction et l’extermination, mises en œuvre par l’Etat, de la nation arménienne. A lui seul, l’ambassadeur expédia plus de dix rapports sur la persécution des Arméniens et leur sort.

Le 15 janvier 1916, Anckarsvärd envoie un rapport rédigé par l’attaché militaire suédois, Wirsén, qui fait le point sur la situation des opérations militaires en Turquie. Commentant la pénurie de nourriture, le rapport souligne le fait que cela résulte en partie de mauvaises récoltes en Anatolie. Mauvaises récoltes dues à l’absence de travail, puisqu’ « un très grand nombre d’hommes a été enrôlé et [que], dans de vastes régions, la population la plus valide, à savoir les Arméniens, a été soumise au sort le plus affreux […] » (41) Le 13 mars 1916, Wirsén note la tension entourant les officiers allemands, ce qui affecte leurs relations avec les Turcs. Il suppose que quelque chose est sur le point d’arriver sur le front du Caucase, mais que l’issue est incertaine. Il conclut le paragraphe par la phrase suivante : « L’on observe que la persécution des Arméniens a maintenant débuté en Thrace et même à Constantinople, où les Arméniens vivant dans les parties orientales de la ville ont commencé à être transférés vers l’Asie. » (42) Commentant la situation générale en mai, Wirsén souligne la source principale des épidémies qui se propagent sur le front oriental : « La situation sanitaire en Irak est épouvantable. La fièvre du typhus fait de nombreuses victimes. Les persécutions arméniennes ont largement contribué à la diffusion de la maladie puisque, par centaines de milliers, les [Arméniens] expulsés meurent de faim et de privations, le long des routes. » (43)

Dans sa dépêche en date du 20 mai 1916, l’ambassadeur Anckarsvärd relate les négociations en cours entre Turquie et Allemagne, commentant la situation en Turquie et les rumeurs d’une éventuelle capitulation. Evoquant la possibilité d’agressions contre les étrangers en Turquie et une intervention étrangère qui s’ensuivrait, Anckarsvärd soutient qu’une intervention étrangère ne ferait qu’affaiblir l’empire turc, tandis que son analyse ne propose pas d’autre option : 

« Ce n’est que par la guerre qu’un régime ultra-terroriste tel que celui-ci peut être renversé. La véritable nature de ce régime est apparue à la surface de manière très significative à travers les persécutions arméniennes. Le fait que ces mêmes méthodes violentes sont encore mises en œuvre est évident à travers les récents rapports des services secrets concernant les mesures visant à subjuguer l’agitation parmi les Arabes. […] A Alep, des rumeurs circulent quant à une déportation imminente d’Arabes par centaines de milliers. Telle est l’administration Jeune-Turc, des plus incompétente à régler les difficiles problèmes posés par les éléments hétérogènes, dont se compose la population. Les succès militaires, grâce à l’aide allemande, ne doivent pas créer l’illusion que la Turquie renaisse grâce à la guerre. La souche est corrompue, au point qu’une véritable régénération est inconcevable. » (44)

Anckarsvärd prédit ainsi que, même si une intervention ne constitue peut-être pas la meilleure réponse, elle pourrait bien être la seule alternative, puisque aucun changement n’est susceptible de venir de l’intérieur améliorer la situation des minorités. Néanmoins, la guerre donne une occasion idéale d’agir en Etat qui a failli, sans craindre une quelconque ingérence extérieure.

Le 7 juin 1916, le Dagens Nyheter signale qu’à Trébizonde, il n’y a en moyenne que 92 survivants pour 10 000 habitants. « L’extermination des Arméniens a été menée de manière systématique. » (45) La passivité de la Suède en réaction à la nouvelle de ces atrocités fut critiquée par l’éditeur G.H. von Kock, qui s’en prit non seulement au gouvernement, mais aussi à l’Eglise : « C’est avec peine que l’on note que, depuis la première annonce de cette question, rien ou, du moins, très peu a été fait pour aider les Arméniens et les Syriens chrétiens qui, en Asie Mineure, sont massacrés par centaines de milliers par les Turcs et les Kurdes. […] Il semble parfois que nous soyons, ici en Suède, comme paralysés face à tous ces malheurs qui prévalent maintenant et s’accroissent sans cesse dans le monde. » (46)

Presque un mois plus tard, Anckarsvärd expédie un rapport informant Stockholm de la possibilité d’une déclaration de guerre de la Grèce contre la Turquie, qui pourrait se traduire par la répétition du sort des Arméniens, engloutissant cette fois les Grecs de Turquie. Le rapport est important, du fait de la demande attendue de protection des intérêts grecs en Turquie : « L’ambassadeur des Pays-Bas a informé son gouvernement qu’en cas d’une éventuelle demande de la part de la Grèce, s’agissant de confier la protection de ses intérêts en Turquie à la légation hollandaise, il conviendrait de la refuser. Le ministère des Affaires Etrangères à La Haye a répondu qu’il approuve totalement le point de vue de l’ambassadeur. En mon nom personnel, j’aimerais respectueusement faire la même proposition auprès de Votre Excellence car cela concerne cette ambassade, au cas où le gouvernement d’Athènes s’adresserait au gouvernement de Sa Majesté. » (47) Il s’agit là du seul exemple où Anckarsvärd recommande une politique particulière à Stockholm au regard des événements en Turquie. Ce rapport montre aussi comment la crainte de mettre en danger les intérêts de tel ou tel pays pouvait empêcher directement ce pays d’intervenir, en cas d’urgence humanitaire. Cette politique deviendra beaucoup plus évidente avec l’arrivée du nouvel ambassadeur de Suède en 1920.

Dans sa dépêche du 5 janvier 1917, Anckarsvärd fait une importante observation sur l’influence allemande en Turquie, concernant le risque imminent d’une capitulation turque : « La situation eût été différente, si la Turquie avait suivi le conseil des Puissances centrales de les laisser s’occuper de la question de l’approvisionnement, etc. […] Plus grave néanmoins, l’extermination [utrotandet] des Arméniens qui, peut-être, aurait pu être prévenue, si les conseillers allemands avaient reçu en temps utile autorité sur l’administration civile, tandis que les officiers allemands exercent de fait dans l’armée et la marine. […] Les déclarations mentionnées plus haut, comme je l’ai rappelé, émanent d’un diplomate officiel, allié de la Turquie. Votre Excellence peut ainsi peser ce que les diplomates neutres pensent de la situation ici. » (48) 

Le 14 janvier 1917, Anckarsvärd adresse une dépêche concernant la décision de déporter les Grecs ottomans. Il note que l’ambassadeur des Etats-Unis tente de faire cesser ces déportations en soulignant auprès de la Porte le genre d’impression qu’« une répétition des persécutions arméniennes, cette fois contre les Grecs, donnerait dans l’ensemble du monde civilisé. » Il achève son rapport en soutenant ce qui suit : « Ce qui, surtout, apparaît comme une atrocité inutile, c’est que la déportation ne se limite pas aux hommes, mais s’applique également aux femmes et aux enfants. Tout cela vise apparemment à confisquer bien plus aisément les biens des déportés. » (49)

La question arménienne fut revécue en 1917 en Suède. Même les écrivains et les politiciens se joignirent alors au débat. L’ambassade de Turquie à Stockholm s’y impliqua elle aussi, réfutant les allégations dont faisait état la presse suédoise. Le 24 mars, le Dagens Nyheter publia un appel parlementaire, rédigé par le maire de Stockholm, Carl Lindhagen, au ministre des Affaires Etrangères, Johannes Hellner, déclarant : « Les précédentes atrocités en Arménie pâlissent au regard de l’extermination [utrotandet] concrète des Arméniens, qui s’est récemment déroulée. » Il poursuit en demandant si « le gouvernement, seul ou en collaboration avec d’autres gouvernements neutres, susceptibles d’influer en quelque manière, souhaite aider le droit de la population arménienne à protéger son existence, ses biens et sa nation ? » (50)

En réponse à l’interpellation du maire Lindhagen, adressée au ministre suédois des Affaires Etrangères, le président du parti conservateur au Parlement, Arvid Lindman, rejeta toute demande d’intervention, se référant au fait que la Suède n’avait pas à s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre Etat. (51) Le chef de l’opposition, président du parti social-démocrate, Hjalmar Branting, fit savoir que la Suède devait protester contre les massacres arméniens, de même qu’elle avait protesté contre la « catastrophe survenue en Belgique. » (52) Néanmoins, aucune protestation ne fut publiée. Le 26 mars [1917], une manifestation de protestation fut organisée en soutien aux Arméniens. Dans une salle comble à Stockholm, ce rassemblement fut présidé par le maire Lindhagen, tandis que Hjalmar Branting prononça le discours d’ouverture. La principale allocution fut présentée par l’écrivaine Marika Stjernstedt. Les ambassadeurs de France, de Russie, de Belgique et d’Italie étaient eux aussi présents et des fonds furent collectés. (53) Evoquant les massacres arméniens de la fin du 19ème siècle, Branting reprocha à la presse conservatrice d’avoir pratiquement passé sous silence l’information relative aux massacres, déclarant que le monde fut « témoin qu’en Arménie, un génocide [folkmord] pleinement organisé fut perpétré et que les événements en cours dans ce pays sont sans comparaison avec tout ce qui s’est passé durant la guerre. » (54) Branting est peut-être bien la première personnalité à avoir, des années avant Raphaël Lemkin, utilisé le terme folkmord, à savoir génocide, quant à la destruction d’une nation. Branting informa aussi l’assistance qu’en 1916, il avait contacté le ministre des Affaires Etrangères d’alors, Knut Wallenberg, afin qu’il intervînt et fît cesser les massacres. Démarche qui s’avéra vaine. (55) Rappelons qu’à cette époque, Branting était chef de l’opposition, critiquant le gouvernement pour sa germanophilie et son indifférence face à un désastre humanitaire évident. Il aura la chance de traiter cette question, lorsqu’il deviendra premier ministre, ce que j’aborderai plus tard. Ce rassemblement exaspéra la Mission diplomatique de Turquie à Stockholm, laquelle publia un article dans le Svenska Morgonbladet, expliquant que le gouvernement turc, au début de la guerre, avait prévenu que « toute tentative de révolte serait sévèrement châtiée. Les Arméniens poursuivirent leur ancienne politique, un bain de sang et des attaques contre les Turcs débutèrent – autrement dit, tous les symptômes d’une entière insurrection. » (56) Neuf jours plus tard, Marika Stjernstedt publia un article véhément sur les massacres arméniens, citant de nouveaux témoignages corroborant les accusations contre les Turcs. (57)

Dans un rapport du 20 août 1917 concernant l’impact de la guerre sur la Turquie, les pertes territoriales, ainsi que leurs répercussions sur la société, l’envoyé suédois Ahlgren identifie les causes suivantes de l’augmentation du coût de la vie : « obstacles au commerce intérieur, paralysie quasi totale du commerce extérieur, et enfin forte baisse de la force de travail, provoquée en partie par la mobilisation, mais aussi par l’extermination de la race arménienne [utrotandet af den armeniska rasen]. » (58) Ahlgren s’accorde ainsi avec le point de vue d’Anckarsvärd, lorsqu’il décrit le véritable objectif des massacres et la nature du sort réservé aux Arméniens. Peu après, l’analyse de la situation est établie plus en détail dans un rapport sur les nouveaux maîtres de la Turquie, les « Jeunes-Turcs. » Dans une dépêche du 10 septembre 1917, Ahlgren livre une description détaillée du parti Union et Progrès. Avant la guerre, la politique turque était celle de « l’ottomanisme, » visant à homogénéiser l’empire hétérogène en désintégration qui, jusque là, était maintenu par un pouvoir autocratique. Les nouveaux dirigeants réalisèrent néanmoins que l’ottomanisme menaçait l’élément turc, puisque d’autres populations soumises « exigèrent des droits égaux aux Turcs pour elles-mêmes : sécurité pour leur existence et leurs biens, accès aux emplois civils et militaires, et même au gouvernement. » (59) Afin d’empêcher cela, Talaat et Enver, grâce au coup d’Etat de 1913, éliminèrent le gouvernement libéral et commencèrent à mettre en œuvre des changements dans la Constitution afin d’avantager les droits de l’élément turc. Renvoyant à la politique nouvelle d’homogénéisation de la Turquie, appliquée par les dirigeants turcs, Ahlgren affirme que celle-ci était programmée en « assimilant les autres nationalités et, lorsqu’elle échoua, en recourant bientôt aux persécutions politiques et à l’extermination. C’est à la lumière de ces faits qu’il convient de peser les mesures prises contre les Arméniens et, peut-être, de futures [actions] similaires contre les Grecs. » (60) Toute opposition fut brutalement supprimée, tous les postes essentiels au sein de l’administration furent attribués à des fidèles, et une police nouvelle fut créée pour agir en toute sécurité aux mains du gouvernement. Un même traitement fut appliqué à l’armée. (61) Le gouvernement s’assura un contrôle total du pays.

En 1918, après un entretien avec le ministre turc des Affaires Etrangères, Nessimy Bey, Anckarsvärd adressa une lettre à Stockholm, en date du 22 avril, relatant l’information recueillie auprès du ministre. Nessimy Bey réfutait les récentes informations sur de nouveaux massacres arméniens, les qualifiant de propagande britannique, tout en soulignant que leurs souffrances antérieures étaient dues au comportement rebelle des Arméniens et à leur évacuation qui s’ensuivit. « Or, poursuit Anckarsvärd, le simple fait de soumettre récemment et inutilement les Arméniens à de nouvelles souffrances ne saurait être compris par quiconque doué de raison en Turquie, car cela ne fera qu’alimenter davantage l’indignation déjà dominante envers la Turquie. » (62) Autrement dit, Anckarsvärd fait allusion au ressentiment manifesté à l’étranger à l’égard de la Turquie et au sort qu’elle réserva à ses sujets arméniens, même si une ferme condamnation de ces agissements brillait par son absence. Le 25 août, Ahlgren fait état des négociations de paix en cours au Caucase entre la Turquie et les républiques nouvellement créées de Géorgie, d’Azerbaïdjan et d’Arménie. Mentionnant la poussée des Turcs vers l’est, à l’intérieur du Caucase, en direction de Bakou et au-delà, il note que les exigences territoriales des républiques arménienne et azerbaïdjanaise sont presque entièrement satisfaites par la Turquie, alors que la demande arménienne originelle d’un territoire de 45 000 kilomètres carrés est limitée à 11 000, englobant essentiellement la province d’Erevan. « L’Arménie est ainsi lourdement circonscrite, mais cela est moins surprenant que le fait que les Turcs aient, globalement, décidé de reconnaître un Etat arménien indépendant, ce qui contredit manifestement leur politique mise en œuvre depuis 1915, laquelle s’est évertuée à régler la question arménienne au moyen de l’extermination de la race arménienne [den armeniska rasens utrotande]. » (63) Ahlgren relève cependant que cette reconnaissance par la Turquie ne fut pas spontanée, mais due aux efforts de persuasion de l’Allemagne. Quoi qu’il en soit, l’offensive turque en direction de Bakou fut stoppée par la signature de l’armistice de Mudros, par lequel la Turquie capitula le 30 octobre 1918. (64) Des mesures de réconciliation de la Turquie se poursuivront en 1919.

Il convient de citer ici une dépêche qu’Anckarsvärd adressa à Stockholm le 8 octobre 1918. Cette dépêche fait le bilan d’une audience d’Anckarsvärd à la cour du prince impérial Abdülmecit. Le prince avait dissous le cabinet de Talaat à cause de sa mauvaise administration du pays et, en particulier, de la perte de confiance, au plan intérieur et extérieur, du fait de « deux erreurs impardonnables qui, aux yeux de la Turquie et à l’étranger, les rendent impropres à diriger le pays, à savoir d’une part les persécutions arméniennes, et d’autre part l’excès d’atrocités commises en Syrie contre les cheikhs arabes impliqués dans des complots. » (65) Deux observations importantes figurent dans cette dépêche : 1) le pouvoir turc pointe un Etat qui a failli, administrant mal le pays en général, et pas seulement à l’égard des minorités ; 2) la réaction de la Turquie, en l’espèce de la part du prince impérial, admit la reconnaissance des atrocités, bien avant que les puissances de l’Entente ne fissent pression sur la Turquie vaincue et les procès qui suivirent.

Le 10 janvier 1919, Anckarsvärd rend compte des perspectives futures de la Turquie. Problème majeur cité dans ce rapport, l’avenir de la Cilicie (et aussi de Diyarbakir), à savoir si cette importante et riche province doit être incluse dans le projet d’Arménie indépendante ou laissée à la Turquie. Ce rapport est l’un des premiers – et ils furent nombreux – transmis de Constantinople à Stockholm, signalant l’impact de la création de l’Arménie sur les finances de la Turquie. La question centrale est de savoir comment préserver la Turquie d’une catastrophe financière imminente et, plus important encore, comment préserver le capital étranger investi en Turquie. Anckarsvärd note qu’un conseiller français, commentant la situation financière en Turquie, conseille de « préserver la Turquie de la banqueroute, tout en sauvegardant les importants capitaux français et anglais présents en Turquie. Les pays de l’Entente ne doivent pas, dans leur intérêt, ruiner la Turquie, qu’ils espèrent, à l’avenir, pouvoir pleinement contrôler et exploiter en toute liberté. » (66) Anckarsvärd en conclut : « L’on ne ruine pas, dit-on, son débiteur, et la question est de savoir si l’on peut tirer des conclusions de cette thèse. » Des rapports ultérieurs, mentionnés plus avant, éclaireront davantage la mise en œuvre de cette thèse par les puissances étrangères au regard de l’Arménie et de la Turquie.

Jusqu’ici, les dépêches de l’ambassade indiquent clairement qu’il y eut des massacres à grande échelle, ayant pour but d’anéantir la nation arménienne. Il y eut bien quelques agissements révolutionnaires de la part des Arméniens, dus en partie aux atrocités turques perpétrées dans le passé, mais l’échelle de ces agissements explique difficilement l’extermination de la nation arménienne dans son ensemble. En outre, les dépêches soulignent plus d’une fois que les massacres arméniens ne résultèrent pas d’actions publiques spontanées, mais de la mise en œuvre, orchestrée par le gouvernement, de la liquidation d’une nation. L’on peut donc affirmer avec certitude que la politique du gouvernement suédois, quelles que fussent les informations complémentaires véhiculées par la presse et les missionnaires nationaux, était, en se basant seulement sur les dépêches reçues de ses missions diplomatiques et militaires, bien informée de l’éradication en cours de la nation arménienne.

Néanmoins, en 1920, avec l’arrivée d’un nouvel envoyé suédois à Constantinople, le ton des rapports et des analyses changea du tout au tout, du moins pour ce qui concerne les Arméniens et la question arménienne. Ce nouvel envoyé était Gustaf Oskar Wallenberg, ancien envoyé de Suède au Japon et demi-frère de K.A. Wallenberg, ancien ministre suédois des Affaires Etrangères. Il représentait un type complètement nouveau de diplomates au ministère suédois des Affaires Etrangères. Il différait des diplomates suédois traditionnels sous bien des aspects. Il n’était pas diplomate de carrière, mais plutôt homme d’affaires, une réalité que l’on peut rattacher à son contexte familial. Il appartenait au puissant clan des Wallenberg, une famille de grands financiers de longue date. Néanmoins, malgré cet arrière-plan ploutocratique, il n’était pas issu de la noblesse, ce qui était normalement le cas des diplomates suédois. (67) Par ailleurs, il fut un inlassable défenseur des intérêts commerciaux de la Suède dans les marchés d’alors, en particulier émergents. (68) Ce dernier aspect est des plus évident dans le matériau étudié. Alors que son prédécesseur, Anckarsvärd, fait surtout état de questions militaires et diplomatiques, les rapports de Wallenberg abondent en commentaires sur les possibilités commerciales, les stratégies d’expansion pour les exportations suédoises dans la région, etc.

Le 26 janvier 1920, le ministère suédois des Affaires Etrangères adresse un courrier marqué « Strictement confidentiel » [Strängt Förtroligt] à ses ambassadeurs à Oslo, Helsinki, Berlin, Vienne, La Haye, Berne, Rome et Londres, ainsi qu’au lieutenant-colonel Francke, au siège de l’état-major général. Le document joint à ce courrier est un rapport anonyme émanant d’ « un Suédois, qui a longtemps vécu à Constantinople. » (69) Le rapport en question réfute totalement les massacres : « Le débat sur les massacres des « chrétiens » etc. est indubitablement et totalement dénué de fondement ; notamment le fait qu’aucun détail vérifiable n’y figure ; « les forces nationales » ne sont présentées, en général, que comme des massacreurs. N’y a-t-il personne pour demander des preuves ? » (70) L’énoncé de la dépêche affirme que cette information relève d’une « agitation irresponsable à l’encontre de la Turquie qui, depuis la trêve, a pu se donner libre cours grâce à des éléments levantins plus ou moins répugnants. […] » (71) Rien de précis n’est dit au sujet de ces « éléments levantins », même si l’on peut supposer les nationalités – arménienne et grecque – que l’auteur a en tête.

Le 12 avril 1920, l’ambassade de Suède envoie une dépêche intitulée « De la place future de l’Arménie, » interrogeant Stockholm sur la décision de la Société des Nations de trouver un « Etat civilisé désireux d’accepter la responsabilité du mandat [pouvoir] sur l’Arménie, sous le contrôle de la Société des Nations. » (72) Lors d’un entretien, M.J. Goult, chargé d’affaires français à la Société des Nations, apprit à l’envoyé de Suède qu’ « il serait extrêmement souhaitable de voir un ou plusieurs Etats, susceptibles d’être enclins à accepter cette tâche très importante et humanitaire […] » L’ambassade conclut ce message en proposant de nouvelles informations, au cas où Stockholm était disposée à accepter l’offre. (73) Le 24 avril, un télégramme parvient à Stockholm, se référant aux journaux qui affirment que la Hollande, la Suède ou la Norvège entendent assumer ce rôle de mandataire. De toute manière, les Etats-Unis assumeraient la responsabilité de l’aide économique. D’après une information supplémentaire, la décision finale fut reportée, en attendant la décision de la Commission internationale. (74)

Le 26 avril 1920, néanmoins, G.O. Wallenberg envoie un recommandé en trois pages au ministre des Affaires Etrangères Erik Palmstierna, dans lequel il souligne l’importance de renoncer à tout soutien en faveur de la cause arménienne, au nom des intérêts suédois en Turquie et dans la région. Pour justifier son point de vue, il va, entre autres choses, jusqu’à affirmer que le « caractère national arménien est des plus douteux, ce qui, au passage, n’est pas pour surprendre de la part d’un peuple, dont la politique séculaire s’est limitée aux domaines de l’intrigue. […]  Les représentants du pouvoir mandataire courront ici le risque d’être utilisés à des fins qu’ils ne souhaiteront pas ; et si quelque scandale éclate, les Arméniens les en rendront toujours responsables. » (75)

Le contenu de ce rapport ne peut être considéré que comme une tentative évidente de minimiser la nécessité d’un engagement de la Suède, fondé sur des questions morales et humanitaires. Wallenberg aborde le problème d’un point de vue purement réaliste, préservant les intérêts économiques et politiques de la Suède. Contrairement à ses voisins, l’Arménie n’a rien à offrir à la Suède. Wallenberg le fait clairement savoir et se chargera de poursuivre cette rhétorique, afin d’amoindrir la place de l’Arménie dans cette équation. Il convient de souligner que son analyse et ses observations contredisent fortement le point de vue de son prédécesseur et celui de Wirsén. Wallenberg était un homme d’affaires, intéressé par les profits et non par les responsabilités humanitaires. Durant les années suivantes, Wallenberg maintint ce comportement négatif à l’égard des Arméniens et de la question arménienne. Il rejetait la thèse qu’il y eût quelque Arménien que ce fût en Turquie, tout en admettant qu’il y avait des « Turcs de confession chrétienne. » Pour confirmer le fait qu’il n’y aurait pas de communauté arménienne en Turquie, Wallenberg cite un avocat arménien qui lui aurait dit : « Nous sommes turcs et nous souhaitons le rester. » (76) Wallenberg affirmera ensuite que les Arméniens n’ont de toute façon pas d’avenir. En Turquie, presque tous « les soi-disant Arméniens parlent le turc, » et « en Union Soviétique, ils seront sûrement russifiés. » (77) Il soutenait de plus que la tentative de créer une Arménie indépendante ne relevait que de la volonté des Arméniens de la diaspora, « des nationalistes déracinés, » et n’avait pas le moindre ancrage parmi les Arméniens d’Arménie. Il compare à ce propos les organisations des Arméniens en exil avec le mouvement sioniste, comparant les Arméniens de Turquie aux Juifs de Palestine, critiquant leurs compatriotes nationalistes de la diaspora. (78)

Le 22 octobre 1920, l’on apprit la demande d’aide de l’Arménie auprès de l’Entente, suite à un ultimatum émanant de la Russie soviétique. Citant L’Indépendance Belge, le Dagens Nyheter signale que « la Société des Nations a proposé, au sujet de l’Arménie, que le Conseil Suprême nomme une puissance mandataire pour l’Arménie. » (79) La question d’un mandat de la Suède sur l’Arménie fut soulevée lors de la session d’automne de la Société des Nations. Le 20 novembre 1921, la S.D.N. tint sa première assemblée générale, avec Hjalmar Branting comme chef de la délégation suédoise. Ce rassemblement reçut de nombreux télégrammes de la part des organisations arméniennes en France, Turquie, Roumanie, Etats-Unis et Egypte, entre autres, appelant les membres de la Société des Nations à sauver l’Arménie. (80) Pour reprendre la définition de Grotius, ces appels émanaient de sujets éliminés, appelant à une intervention étrangère comme forme épurée de « guerre juste. » (81) Se référant aux télégrammes et à l’appel des Arméniens, le délégué yougoslave demanda aux grandes puissances d’intervenir. L’intervention humanitaire ne constituait pas seulement une mission de sauvetage, mais aussi de maintien de la paix. Puis, Branting parut à la tribune, soutenant les déclarations des précédents orateurs et demandant que les grandes puissances intervinssent à ce sujet. (82) L’on peut donc en conclure qu’aux yeux de Branting, l’intervention ne représentait pas seulement une obligation morale, visant à protéger les droits de l’homme et la sécurité des sujets arméniens en Turquie, mais aussi le fait que la situation globale menaçait la sécurité internationale et la Société des Nations nouvellement créée. La France et l’Angleterre déclinèrent le mandat, renvoyant au fait qu’elles avaient déjà accepté des missions de mandataire. Dès qu’il apprit la nouvelle, le premier ministre suédois, Louis De Geer Junior envoya immédiatement un télégramme à la Société des Nations, déclinant le mandat sur l’Arménie, du fait de « la distance entre les deux pays, et [de] la nature complexe et sérieuse du problème arménien. » (83) Le télégramme de la Norvège fut littéralement une copie carbone de la réponse suédoise, tandis que celle du Danemark était la même dans son contenu. (84)

Le 23 novembre [1920], le Nya Dagligt Allehanda publia un article, qui posait la question suivante : « La question arménienne doit-elle conduire à la création d’une force de police internationale ? » (85) Ce qui pourrait bien être la première fois où la nécessité d’une force internationale de maintien de la paix soit apparue. Le fait que la Société des Nations refusa ou fut incapable de prendre quelque engagement que ce fût au regard de la question arménienne, dans une situation d’urgence, fut exposé par le correspondant du Social-Demokraten à Genève, qui écrivit : « Les nations civilisées s’observent, un peu honteuses, chacune d’elles murmurant sa réponse au Conseil : « L’Arménie doit, bien sûr, être aidée. Il est de la responsabilité de toute l’humanité d’aider l’Arménie. Il ne doit pas arriver que l’Arménie ne soit pas aidée. Mais pourquoi devrais-je le faire ? Pourquoi moi ? Pourquoi moi ? » entend-on de toutes parts. ‘Pourquoi devrais-je m’exposer au risque et à l’inconvénient de fourrer mon nez dans cette caverne de voleurs ?’ Et toutes les nations civilisées de se tenir au bord, entourant des gens qui se noient, redoutant d’être elles-mêmes jetées à l’eau. » (86) La communauté internationale voyait évidemment le problème et témoignait sa sympathie, mais c’était tout. L’Arménie ne valait tout simplement pas le risque. Quiconque s’engageait à accepter un pouvoir de mandataire sur l’Arménie prenait le risque de s’endetter et d’entrer en conflit avec ses voisins économiquement et politiquement plus avisés, tels que la Turquie, l’Azerbaïdjan et la Russie. La réaction de presque tous les pays qui déclinèrent leur participation, tout en reconnaissant la nécessité d’une intervention humanitaire, montre que s’il y avait une volonté suffisante pour intervenir, tel n’était pas le cas lorsqu’il s’agissait de consacrer des ressources à cette cause. 

Le 19 octobre 1921, Wallenberg écrivit une nouvelle lettre au sujet de la demande possible, par la Société des Nations auprès de la Suède, d’agir comme garant d’un gouvernement arménien temporaire en Cilicie. La perspective d’une telle demande paraissait des plus mince ; néanmoins la recommandation de Wallenberg, fondée sur les mêmes motifs qu’il avait opposés à la proposition concernant la puissance de mandataire, fut de décliner ce genre de demande. (87) Commentant la question de la non ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain, il note que « chercher à en faire un problème international reviendrait fondamentalement à choisir d’ériger en principe que les Etats ne devraient plus avoir juridiquement le droit de prendre des mesures contre des complots visant leur sécurité. » (88) Le 15 novembre 1921, l’intérêt économique d’une relation étroite avec Constantinople apparut plus clairement, lorsque Wallenberg expédia un rapport de quatre pages, analysant les développements dans la région de la Mer Noire, où il ne cesse de souligner l’importance renouvelée de Constantinople, soulignant (cité deux fois et souligné pages 1 et 4) que « la voie vers le nouveau marché russe ne passe plus par la mer Baltique, mais par Constantinople et les ports de la Mer Noire. » (89) Le négoce et les intérêts économiques suédois en Turquie importaient bien davantage que quelque problème humanitaire que ce fût.

Conclusion

Compte tenu des données dont nous disposons, il est manifeste que l’information concernant les massacres dans l’empire ottoman et leur caractère génocidaire était abondante dans les journaux suédois, de même que dans les rapports soumis à l’Eglise de Suède, le ministère suédois de la Défense, le ministère suédois des Affaires Etrangères et le gouvernement suédois. L’on peut affirmer avec certitude que le gouvernement suédois avait une vision claire de ce qui se passait en Arménie Occidentale, durant la Grande Guerre. Quand bien même l’on négligerait l’information rapportée par les missionnaires et la presse, le gouvernement suédois, grâce en particulier à son ambassade à Constantinople, mais aussi via son attaché militaire en Turquie, fut bien informé de la destruction en cours. Dans ses dépêches adressées à Stockholm, l’ambassadeur Anckarsvärd souligne le fait que ce qui eut lieu dans l’empire ottoman ne fut ni un acte de massacres mutuels, ni des mesures prises contre une insurrection arménienne, mais l’anéantissement systématique, programmé avec soin, de la nation arménienne, lancé et mis en œuvre par le gouvernement turc. De fait, les rapports évoquent une collaboration arménienne avec l’armée russe et une résistance armée ici et là, mais ils montrent aussi clairement que : 1) les actes de vengeance se produisirent bien après la phase culminante des massacres et des déportations de 1915-1916, ce qui a pour conséquence que les agissements du gouvernement ne peuvent être justifiés en tant que mesures prises contre l’insurrection et la trahison ; 2) la collaboration avec l’ennemi fut d’une portée très limitée et ne saurait légitimer la mise en œuvre de la destruction de toute la nation arménienne. Ce point de vue était en outre confirmé par les informations et les témoignages publiés par les missionnaires et humanitaires suédois, mais aussi danois, norvégiens, allemands et américains, à leur retour, durant les dernières années du conflit. Ces rapports indiquent aussi que le gouvernement turc s’appuyait sur le fait que, tant que la guerre se poursuivrait, le monde serait dans l’incapacité d’intervenir. Lorsque la guerre prit fin, le génocide avait atteint son but, vidant l’Arménie Occidentale de ses Arméniens. Ce qui, en partie, légitimait la thèse selon laquelle il était impossible de créer une Arménie en se fondant sur l’autodétermination de la nation, tout simplement parce qu’il ne restait plus aucun Arménien pour prendre cette décision. La date du premier rapport diplomatique classé indique que Stockholm reçut un avertissement préalable et eut notification de la catastrophe humanitaire en cours, lors des premières phases des massacres et des déportations à grande échelle. Les rapports qui suivent indiquent en outre que les agissements de la Turquie témoignent d’un Etat violant les droits et la protection de ses citoyens. A savoir que la Turquie était un Etat qui avait failli, ce qui, en retour, pouvait justifier une intervention humanitaire.

Un nombre limité de politiciens, tels que Hjalmar Branting, en appela à l’opinion suédoise afin de peser sur les décideurs, mais rien n’indique dans les données étudiées que cela ait eu quelque impact. Il semble que seuls les missionnaires soient passés aux actes et que, quand et là où c’était possible, ils aient fait tout leur possible pour abriter les victimes, œuvrant activement pour apporter aide et nourriture aux déportés, en sauver le plus possible des exécutions, etc. En dépit de sa connaissance précise de la situation, l’ambassadeur Anckarsvärd s’abstint de faire quelque recommandation officielle auprès de son gouvernement à ce sujet, ou de demander à Stockholm quelque directive que ce fût. Cela dit, il est à noter qu’Anckarsvärd releva les aspects éthiques de la politique d’anéantissement et le fait que le gouvernement turc se rendit coupable de crimes contre l’humanité, mais que sa position diplomatique et son obéissance à la politique de neutralité ne lui ont pas permis d’agir. Contrairement à Anckarsvärd, Wallenberg joua un rôle actif dans la prise de décision de Stockholm ou, du moins, l’influença à la base, en plaidant ouvertement pour une politique spécifique au regard de la question arménienne. Wirsén, lui aussi, eut globalement connaissance de l’anéantissement, mais ne pouvait avoir, en tant qu’envoyé militaire, autorité pour se livrer à des commentaires politiques. Ce n’est que plus tard, lorsqu’il commente son expérience en tant que missionné, que Wirsén décrit les massacres et la déportation de la nation arménienne et qu’il tente d’interpréter leur véritable nature, ainsi que les objectifs des dirigeants turcs. Pour ce qui concerne le gouvernement suédois, il est nécessaire de procéder à une étude élargie des événements, si l’on veut évaluer l’action officielle de la Suède, ou son absence. Aucune donnée n’indique que la Suède ait recouru à quelque protestation ou pression que ce soit en faveur d’une intervention humanitaire. Néanmoins, l’absence d’information en ce sens ne permet pas d’interpréter dans sa globalité la position officielle. Plus tard, cependant, lorsque la question d’une puissance mandataire fut soulevée, la Suède agit à l’instar des autres nations, peu désireuse de s’impliquer dans un pays aussi éloigné. L’expression du correspondant suédois, posant la question « Pourquoi moi ? », illustre donc fort bien le sentiment dominant en Suède au regard de la lointaine Arménie.

Elargir le cadre de cette étude et tenter de découvrir de quelle manière les autorités suédoises analysèrent les informations reçues au sujet des massacres arméniens permettrait de dégager de nouvelles perspectives sur les données présentées dans cet article. De quelle manière un petit Etat réagit-il, lorsqu’il est confronté à des informations sur une crise humanitaire en cours et au choix d’intervenir ? De quelles alternatives disposait Stockholm, comment discutaient les décideurs et que décidèrent-ils ? Les crises humanitaires majeures, telles qu’un génocide, remettent-elles en question la doctrine fondamentale des politiques des petits Etats ou bien celle d’une organisation internationale, comme les Nations Unies ? Comment une intervention humanitaire efficace peut-elle être mise en œuvre lors d’un conflit régional majeur ou régional, lorsque la partie responsable est déjà en guerre avec des intervenants potentiels ? Une intervention de la part d’Etats étrangers est-elle toujours impossible, lorsqu’un génocide est commis durant une guerre globale ? Existe-t-il des solutions alternatives à une intervention militaire ? Si l’on veut traiter ces questions, d’autres facteurs doivent être ajoutés à l’équation, comme la dynamique de la politique étrangère de la Suède, consistant à abandonner sa stricte neutralité en s’engageant dans la Société des Nations, mais aussi la menace, perçue comme imminente, émanant de la nouvelle Russie bolchevik.                            

Notes

1. Cet article est un court résumé de mon mémoire de maîtrise et, en raison des limites imparties, n’inclut pas l’intégralité des articles, documents et rapports concernant le génocide en cours dans l’empire ottoman. Voir Vahagn Avedian, The Armenian Genocide 1915 : From a Neutral Small State’s Perspective (mémoire de maîtrise, université d’Uppsala, 2008 ; http://www.armenica.org/material).
2. Mariam Bakhtiari, Kalla det vad fan du vill (Stockholm : Ordfront, 2005), p. 9. Dans le texte suédois, « wogs » se traduit par « svartskalle, » littéralement « tête noire », par référence à la couleur sombre des étrangers, qui contraste avec la couleur châtain clair de la chevelure des Suédois autochtones. Voir aussi Tomas Hammar, Sverige åt svenskarna : Invandringspolitik, utlänningskontroll och asylrätt, 1900-1932 (Stockholm : Université de Stockholm, 1964), p. 69-71. Sauf indication contraire, toutes les traductions à partir de sources non anglaises sont de moi.
3. Un des arguments utilisés par la Turquie de nos jours pour éviter de reconnaître le génocide de 1915 renvoie à une prétendue distinction entre « [Etat] Ottoman » et « Turquie, » soutenant que la Turquie n’existait pas avant 1923, et que l’Etat actuel ne saurait être responsable de quelque action que ce soir, commise par le gouvernement ottoman. Or, lorsque l’on étudie la période en question, il devient évident que cette transformation de l’Etat ottoman en Turquie est déjà en cours. Plusieurs Etats étrangers, dans leur correspondance, rapports et documents diplomatiques, utilisent le mot « Turquie » ou « Turquie ottomane » pour désigner cet Etat. Cet article utilisera donc le terme de Turquie, lorsqu’il se réfère à l’empire ottoman. Pour de plus amples informations, voir Vahakn N. Dadrian, The Key Elements in the Turkish Denial of the Armenian Genocide : A Case Study of Distortion and Falsification (Toronto : Zoryan Institute, 1999), p. 5-6.
4. Pour de plus amples informations, voir Vahakn N. Dadrian, « The Armenian Question and the Wartime Fate of the Armenians as Documented by the Officials of the Ottoman Empire’s World War I Allies : Germany and Austro-Hungary, » International Journal of Middle East Studies 34, no. 1 (February 2002), p. 59-85 ; Vahakn N. Dadrian, The History of the Armenian Genocide : Ethnic Conflict from the Balkans to Anatolia to the Caucasus (Providence, RI : Berghahn, 2004). Voir aussi W.J. van der Dussen, « The Question of Armenian Reforms in 1913-1914, » The Armenian Genocide, Documentation, vol. 8 (München : Institut für Armenische Fragen, 1991).
5. Gunilla Lundström, Per Rydén et Elisabeth Sandlund, Den svenska pressens historia, Det moderna Sveriges spegel (1897-1945), vol. 3 (Stockholm : Ekerlid, 2001), p. 124.
6. Tommy Hansson, Neutralitetsmyten : En granskning av svensk utrikespolitik (Stockholm : Contra, 1991), p. 20.
7. Erik Lönneroth, Den svenska utrikespolitikens historia (Stockholm : Norstedt, 1959), p. 27.
8. Maria Anholm, De dödsdömda folkens saga (Stockholm : Nordiska öresbibliotek, 1906) ; E. John Larson, Förföljelserna och blodbaden i Armenien : Särskild från år 1894 till år 1897 (Helsingborg : Missionsbokhandeln, 1897) ; Per Pehrsson, Armenierna och deras nöd (Stockholm, 1896).
9. Riksarkivet [Archives Nationales] (RA), correspondance des missionnaires suédois relative à l’Arménie. Sur la description du génocide arménien par Alma Johansson, voir Alma Johansson, Ett folk i landsflykt : Ett år ur armeniernas historia (Stockholm : Kvinnliga Missions Arbetare, 1930).
10.  Gustaf Hjalmar Pravitz, Från Persien i stiltje och storm (Stockholm : Dahlberg, 1918).
11.  Les sympathies pro-allemandes du Nya Dagligt Allehanda déboucheront sur une adhésion pleine et entière au national-socialisme dans les années 1930.
12.  Pravitz, Från Persien i stiltje och storm, p. 222.
13. Nya Dagligt Allehanda (Stockholm), 23 avril 1917.
14.  Pravitz, Från Persien i stiltje och storm, p. 221.
15.  Ibid., p. 22, 226-27.
16.  Ibid., p. 219, 221-23.
17.  Le hasard voulut que Wirsén fût le même officier militaire suédois à être nommé président de la commission que la Société des Nations chargea d’arbitrer la crise de Mossoul. C’est sa connaissance détaillée de la région, son expérience de la guerre et sa familiarité avec la situation d’alors qui firent de lui un atout important au sein de la commission nommée pour résoudre cette crise.
18. Carl Einar af Wirsén, Minnen från fred och krig (Stockholm : Bonnier, 1942), p. 132.
19. Ibid., p. 133.
20. Ibid., p. 220-26. Voir aussi p. 120, 288 et 294.
21. Ibid., p. 223.
22. Ibid., p. 223.
23. Ibid., p. 226. Ce point de vue est confirmé aussi par Dadrian. Voir Dadrian, The History of the Armenian Genocide   Ethnic Conflict from the Balkans to Anatolia to the Caucasus, p. 289, 384-85.
24. Wirsén, Minnen från fred och krig, p. 226.
25. Riksarkivet, Utrikesdepartementet [Affaires Etrangères], 1902 års dossiersystem, vol. 1148, no. 99 (30 avril 1915), p. 3.
26. Le terme de Sublime Porte renvoie à celle du gouvernement impérial ottoman, plus précisément le ministère des Affaires Etrangères.
27. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1148, no. 99 (30 avril 1915), p. 5.
28. Svenska Morgonbladet (Stockholm), 26 mai 1915.
29. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1148, no. 137 (6 juillet 1915).
30. Le Comité Union et Progrès [« İttihad ve Terraki Cemiyeti » en turc] constituait l’instance dirigeante centrale du mouvement connu en Occident sous le nom de Jeunes-Turcs.
31. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1148, no. 142 (14 juillet 1915).
32. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1148, no. 145 (15 juillet 1915).
33. Sur le Projet Madagascar, voir Christopher R. Browning, The Origins of the Final Solution : The Evolution of Nazi Jewish Policy, September 1939-March 1942 (London : Heinemann, 2004), p. 81-83.
34. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1148, no. 155 (22 juillet 1915).
35. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1148, no. 170 (18 août 1915).
36. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1148, no. 182 (2 septembre 1915).
37. Barbara von Tigerstrom, Human Security and International Law : Prospects and Problems (Oxford : Hart Publishing, 2007), p. 96, 102-103. Voir aussi Catherine Lu, « Whose Principles ? Whose Institutions ? Legitimacy Challenges for ‘Humanitarian Intervention,’ » in Humanitarian Intervention, ed. Terry Nardin and Melissa S. Williams (New York : New York University Press, 2006), p. 197 ; Thomas G. Weiss, Humanitarian Intervention : Ideas in Action (Cambridge : Polity Press, 2007), p. 18.
38. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1148, no. 183 (4 septembre 1915).
39. Svenska Morgonbladet, 4 octobre 1915.
40. Svenska Morgonbladet, 11 octobre 1915.
41. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, 1902 års dossiersystem, vol. 1149a, no. 20 (15 janvier 1916).
42. Krigsarkivet [Archives de Guerre], Generalstaben, Lettre 13 (13 mars 1916).
43. Krigsarkivet, Generalstaben, Lettre 8 (13 mai 1916).
44. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1149a, no. 80 (20 mai 1916).
45. Dagens Nyheter (Stockholm), 7 juin 1916.
46. Dagens Nyheter, 30 août 1916.
47. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1149a, no. 137 (25 septembre 1916).
48. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1149a, no. 9 (5 janvier 1917).
49. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1149a, no. 14 (14 janvier 1917).
50. Dagens Nyheter, 24 mars 1917.
51. Riksdagens arkiv, Andra kammaren, Interpellationer [Seconde Chambre du Riksdag, Interpellations] 35 :29-30 et 62 :7-8 (23 mars 1917).
52. Riksdagens arkiv, Andra kammaren, Interpellationer 62 :10 (23 mars 1917). Allusion aux massacres et aux exactions perpétrées par l’armée du Kaiser en Wallonie et dans les Flandres en août 1914 [NdT]. 
53. Svenska Morgonbladet, 28 mars 1917.
54. Social-Demokraten (Stockholm) (27 mars 1917) ; Svenska Dagbladet, 28 mars 1917.
55. Social-Demokraten, 27 mars 1917.
56. Svenska Morgonbladet, 2 avril 1917.
57. Dagens Nyheter, 11 avril 1917.
58. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1149b, no. 232 (20 août 1917).
59. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1149b, no. 260 (10 septembre 1917).
60. Ibid.
61. Ibid.
62. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1149b, no. 58 (22 avril 1918).
63. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1150, no. 118 (25 août 1918).
64. Hrant Pasdermadjian, Histoire de l’Arménie depuis les origines jusqu’au traité de Lausanne (Paris : Librairie Orientale H. Samuelian, 1949), p. 494.
65. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1150, no. 143 (8 octobre 1918).
66. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. 1150, no. 5 (10 janvier 1919).
67. Bert Edström, Storsvensken i yttersta östern : G.O. Wallenberg som svenskt sändebud i Japan, 1906-1918 (Stockholm : Centre Universitaire d’Etudes sur l’Asie et l’Océan Pacifique, 1999), p. 6.
68. Ibid., p. 13-16.
69. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, 1920 års dossiersystem, vol. HP 1474, no. 55 (26 janvier 1920).
70. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. HP 1474, no. 55 (26 janvier 1920).
71. Ibid.
72. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. HP 1474, no. 160 (12 avril 1920).
73. Ibid.
74. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. HP 904, Telegram, Paris 0305/23 40W 23 18 40, Cabinet Stockholm (24 avril 1920).
75. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. HP 1474, no. 74 (26 avril 1920).
76. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. HP 1474, no. 69 (17 mars 1921).
77. Ibid.
78. Ibid. L’excellent essai descriptif de Richard Hovannisian, Armenia on the Road to Independence, 1918, livre cependant une image fort différente de celle dépeinte par Wallenberg. Voir Richard G. Hovannisian, Armenia on the Road to Independence (Berkeley : University of California Press, 1967).
79. Dagens Nyheter, 22 octobre 1920.
80. Göran Gunner et Erik Lindberg, éd., Längtan till Ararat. En bok om Armenien och armenisk identitet (Göteborg : Gothia, 1985), p. 273.
81. Sur la doctrine grotienne relative aux questions de politique et de responsabilité internationales, et sur l’intervention humanitaire en particulier, voir John G. Heidenrich, How to Prevent Genocide : A Guide for Policymakers, Scholars, and the Concerned Citizen (Westport, CT : Praeger, 2001), p. 135. Voir aussi Kok-Chor Tan, « The Duty to Protect, » in Humanitarian Intervention, ed. Terry Nardin and Melissa S. Williams (New York : New York University Press, 2006), p. 84-116, 89.
82. League of Nations, Assembly Protocol [Société des Nations, Protocole de l’Assemblée] (22 novembre 1920), p. 187.
83. League of Nations, Official Journal [Société des Nations, Journal Officiel], no. 8, novembre-décembre 1920, p. 96.
84. Ibid., p. 96-97.
85. Nya Dagligt Allehanda, 23 novembre 1920.
86. Ecrit le 24 novembre et publié in Social-Demokraten, 29 novembre 1920.
87. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. HP 1474, no. 234 (19 octobre 1921).
88. Ibid.
89. Riksarkivet, Utrikesdepartementet, vol. HP 566B, no. 267 (15 novembre 1921).

[Vahagn Avedian est rédacteur en chef du site www.armenica.org.]

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Source : http://utpjournals.metapress.com/content/u62lr895283260v5/?p=4c0020f54fe143b7865a097763a03a0f&pi=6
Traduction : © Georges Festa – 05.2013.
Tous droits réservés.
Avec l’aimable autorisation de Vahagn Avedian.

http://armeniantrends.blogspot.com/2013/05/vahagn-avedian-le-genocide-armenien-de.html