LE COLLECTIF VAN [VIGILANCE ARMÉNIENNE CONTRE LE NÉGATIONNISME] LUTTE CONTRE LA NÉGATION DE TOUS LES GÉNOCIDES ET PARTICULIÈREMENT CELUI VISANT LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN DE 1915 PERPÉTRÉ PAR LE GOUVERNEMENT JEUNE-TURC DANS L'EMPIRE OTTOMAN. PLUS D'INFOS SUR FACEBOOK.COM/COLLECTIF.VAN ET LE FIL TWITTER @COLLECTIF_VAN - BP 20083 - 92133 ISSY-LES-MOULINEAUX.

lundi, janvier 11, 2021

Audition de SE Mme Hasmik Tolmajyan, ambassadrice d'Arménie en France

 


Info Collectif VAN - www.collectifvan.org – « A la veille de la présentation au Sénat, à la demande du président Gérard Larcher, d’une résolution présentée par les présidents de cinq groupes politiques du Sénat « tendant à reconnaître la République du Haut-Karabagh », la commission des affaires étrangère et de la Défense du Sénat a entendu SE Mme Hasmik Tolmajyan, Ambassadrice d’Arménie en France. » Le Collectif VAN vous invite à lire l’audition de SE Mme Hasmik Tolmajyan, ambassadrice d'Arménie en France publiée sur le site de Sénat le Mardi 24 novembre 2020.

Mardi 24 novembre 2020

Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères et de la Défense

Présidence de M. Christian Cambon, président 

 

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition de SE Mme Hasmik Tolmajyan, ambassadrice d'Arménie en France

M. Christian Cambon, président. - Chère Hasmik Tolmajyan, merci d'avoir répondu à notre invitation. L'Arménie traverse une période sombre de son histoire et nous voulons, avant toute chose, vous exprimer notre soutien dans ces moments de gravité.

Vous le savez, le Sénat examinera demain, à la demande du président Gérard Larcher, une résolution présentée par les présidents de cinq groupes politiques du Sénat « tendant à reconnaître la République du Haut-Karabagh ».

L'exposé des motifs indique, mieux que je ne saurais le faire, la philosophie de cette résolution : « Les populations arméniennes, auxquelles notre pays est lié par une amitié séculaire, sont à nouveau martyrisées dans le Haut-Karabagh. La France ne peut plus ignorer que seule l'indépendance pleine et entière du Haut-Karabagh constituera leur premier rempart.?»

Madame l'ambassadeur, j'ai souhaité vous donner l'opportunité de vous exprimer devant nous afin de permettre à nos collègues de se préparer à ce débat. L'ambassadeur d'Azerbaïdjan sera également entendu par la commission après votre audition.

En tant que parlementaires chargés du contrôle de la politique étrangère de la France, nous nous interrogeons sur le rôle qu'a joué, ou plutôt que n'a pas joué, la France dans cette triste affaire. Le groupe de Minsk, même s'il se réunit encore, ne nous paraît pas très loin de l'état de « mort cérébrale », pour reprendre une expression du Président de la République à propos d'une autre institution, et la position d'arbitre que la France a souhaité y jouer en dépit des atrocités commises nous a finalement cantonnés à une impuissance coupable, laissant libre jeu à la violence, au bénéfice d'un axe turco-russe. Nous avons laissé les armes parler, c'est sans doute une faute. La France n'a d'ailleurs pas été associée à l'accord tripartite de cessez-le-feu du 10 novembre dernier, ce qui en dit long.

Je suis de ceux qui auraient souhaité une condamnation plus ferme par la France de l'offensive azérie dès ses débuts, des bombardements de civils, de l'utilisation d'armes prohibées par le droit de la guerre, et de la présence de combattants étrangers.

Je l'ai dit à l'ambassadeur turc à Paris : la Turquie porte atteinte à la sécurité du Caucase en même temps qu'elle menace l'architecture de sécurité européenne dans son ensemble. Où s'arrêtera-t-elle ? Le degré de violence extrême employé au Haut-Karabagh nous a tous très profondément choqués. J'ai dit aussi notre déception à nos amis russes, à qui nous allons finir par nous lasser de tendre la main. Leur devoir est d'oeuvrer pour la stabilité, plutôt que de laisser s'installer par milliers des combattants terroristes à leurs portes.

Madame l'ambassadeur, je vous laisse la parole pour une quinzaine de minutes. Je vous ai donné la possibilité de projeter un diaporama. Certaines images peuvent être violentes, mais vous avez été confrontés à une guerre sale et les choses ne sont pas toujours belles à voir.

Mme Hasmik Tolmajyan, ambassadrice d'Arménie en France. - Monsieur le président, je tiens à vous remercier chaleureusement pour vos propos d'introduction, et pour votre amitié et votre solidarité avec le peuple arménien qui nous sont très précieux.

Je remercie également le président Larcher d'avoir porté ce projet de résolution et la majorité des groupes politiques de l'avoir soutenu.

Aujourd'hui, ce qui se joue au Haut-Karabagh, c'est la survie du peuple arménien sur ses terres ancestrales. Les Arméniens font face à une menace d'extermination réelle et conjointe de la Turquie et de l'Azerbaïdjan.

Le président turc, Recep Tayip Erdogan, a appelé à plusieurs reprises à en finir « avec les restes de l'épée », c'est-à-dire avec les descendants du génocide arménien. Il a appelé l'Arménie à tirer des leçons du passé : ce sont des menaces à peine voilées d'un deuxième génocide.

Pour sa part, le président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, a publiquement déclaré : « J'avais dit qu'on chasserait les Arméniens de nos terres comme des chiens, et nous l'avons fait. » Ces propos expriment la propagande de haine anti-arménienne à l'oeuvre en Turquie et en Azerbaïdjan. D'ailleurs, ces deux pays se décrivent comme faisant partie d'une seule nation. Je rappelle que la Turquie possède la deuxième armée de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

Cette propagande anti-arménienne n'est pas nouvelle, mais elle devient de plus en plus inquiétante car le discours reproduit une rhétorique qui avait conduit au génocide de 1915.

L'ONG Genocide Watch, qui jouit d'une notoriété internationale en la matière, a alerté il y a quelques semaines sur le risque de génocide que fait peser l'Azerbaïdjan sur la population arménienne au Haut-Karabagh : sur une échelle de 1 à 10, ce risque est estimé à 9. En matière de négationnisme, le risque est à 10.

Cette propagande est relayée en Europe par les Loups gris, un mouvement armé ultranationaliste, néofasciste, qui vient d'être dissout en France à la suite des violences commises à l'encontre de la communauté arménienne en France.

Dans le projet de résolution que vous examinerez demain, il est noté, à juste titre, que « le soutien militaire apporté par la Turquie à l'Azerbaïdjan est à l'origine de l'agression ». La Turquie et l'Azerbaïdjan s'y étaient soigneusement préparés : début août, les deux pays avaient organisé des manoeuvres militaires conjointes de très grande échelle qui, en réalité, consistaient à transférer en Azerbaïdjan un impressionnant arsenal militaire turc en toute transparence. Cet arsenal n'a jamais été rapatrié : il est resté à la disposition de l'Azerbaïdjan pour servir pendant la guerre qui allait être déclenchée quelques semaines plus tard.

Le président français a été le premier chef d'État qui, dès le lendemain de la guerre, a nommé l'agresseur. Il a aussi dénoncé l'expansionnisme de l'État turc et le soutien apporté à l'Azerbaïdjan par la Turquie, en soulignant que ce soutien « décomplexe l'Azerbaïdjan dans ce qui serait une reconquête du Haut-Karabagh, et ça nous n'accepterons pas ». Il a enfin été le premier à alerter l'opinion sur la présence des djihadistes, lesquels avaient quitté le théâtre syrien pour combattre contre les Arméniens en Azerbaïdjan, en transitant par Gaziantep en Turquie. Les hauts responsables russes, américains et iraniens ont, par la suite, confirmé la présence de plus de 2 000 djihadistes dans la région.

Le soutien politique de la Turquie a été déterminant tout au long de cette guerre qui a duré six semaines. Ce pays a organisé et orchestré l'ensemble des actions militaires. Plus de 600 conseillers militaires turcs étaient venus en Azerbaïdjan pour conseiller l'état-major et pour coordonner les opérations sur le terrain. Plus de 200 représentants des forces spéciales turques étaient à la manoeuvre en Azerbaïdjan. Les drones turcs ont donné une suprématie aérienne à l'Azerbaïdjan, en permettant de changer la donne militaire.

On sait que l'expansionnisme turc est le facteur majeur de déstabilisation dans tout le Proche et le Moyen-Orient : Syrie, Libye, Méditerranée orientale et Caucase du Sud. Cela faisait déjà plusieurs mois que l'on sentait l'étau turc se resserrer autour de l'Arménie. Cet expansionnisme est fondé sur des visées néo-ottomanes et panturquistes.

Pendant la reconversion de la basilique Sainte-Sophie en mosquée, le président Erdogan avait publiquement déclaré que son objectif était la restauration du monde turc, de « Boukhara à l'Andalousie ». Il suffit de regarder une carte pour constater que le Haut-Karabagh et l'Arménie sont le seul obstacle à l'unité du monde turcophone.

Supprimer ce verrou, qui empêche la jonction géographique entre la Turquie et l'Azerbaïdjan, entre les deux parties du monde turcophone, est un enjeu stratégique, géopolitique, pour la Turquie. En 1921, c'est précisément au nom de ces visées panturquistes que le Haut-Karabagh avait été sacrifié.

Que le Haut-Karabagh soit une terre ancestrale arménienne qui a toujours fait partie de l'Arménie historique - la région compte plus de 12 000 monuments arméniens chrétiens datant du IVe siècle - ne fait aucun doute pour personne, sauf pour les Turcs et les Azéris. Ces monuments splendides sont maintenant en danger. Le Haut-Karabagh compte une seule mosquée construite sous la domination perse au XVIIIe siècle.

En 1921, le Haut-Karabagh, alors peuplé d'Arméniens à 95 %, est attribué à l'Azerbaïdjan par une décision du bureau caucasien du Parti communiste sous la pression de Staline, à l'époque commissaire du peuple aux nationalités. La décision de Staline devait permettre de sceller une alliance avec la Turquie, au détriment de l'Europe qui lui paraissait hostile ; il s'agissait aussi de courtiser l'Azerbaïdjan, qui regorgeait d'hydrocarbures, et les pays musulmans de l'Asie centrale.

Les Arméniens ont tout de suite contesté cette décision. Car, ils craignaient, qu'en se retrouvant sous la domination turco-azérie, ils seraient confrontés de nouveau, comme il l'a été à maintes reprises au cours de leur histoire, à une menace d'extermination et à un rétrécissement drastique de l'espace arménien. Ils avaient aussi dans leur mémoire les horreurs du génocide de 1915 quand le peuple arménien a été décimé, avec 1,5 million de victimes, et a perdu une très grande partie de sa patrie historique.

Les Azéris, qu'on appelait plutôt à l'époque des Turcs ou des Tatars caucasiens ; avaient participé au génocide et avaient commis des massacres contre les Arméniens dans le Caucase en 1905, 1918 et 1920. Les Arméniens du Karabagh ont été soumis à une sévère discrimination raciale, à une désarménisation de la région : ils ne représentaient plus que 75 % de la population dans les années 1980 à la suite de la politique menée par Bakou.

Pour comprendre la revendication indépendantiste du Karabagh, il est important d'étudier le cas du Nakhitchevan, province arménienne dotée d'un très riche patrimoine en partie détruit en 2004 par l'Azerbaïdjan. Cette province a été attribuée à l'Azerbaïdjan en 1921 toujours pour les mêmes raisons, sous la pression de la Turquie.

Les Arméniens qui constituaient en 1921 la moitié de la population du Nakhitchevan - l'autre moitié étant composée d'Iraniens, d'Azéris, de Tatars, de Kurdes - ne représentaient plus que 1 % de la population dans les années 1980. Pour avoir une frontière terrestre avec le Nakhitchevan, donc avec l'Azerbaïdjan, la Turquie a procédé à un échange territorial avec l'Iran.

En 1921, quand le Haut-Karabagh est incorporé comme région autonome au sein de l'Azerbaïdjan, il a naturellement un lien territorial avec l'Arménie, puisqu'il est une province arménienne. Mais, au début des années 1930, les frontières du Haut-Karabagh sont remodelées : il est amputé de deux parties, l'une dans la partie septentrionale et l'autre dans la partie occidentale, pour couper définitivement le Haut-Karabagh de l'Arménie et accentuer sa situation d'enclave.

En 1988, le Haut-Karabagh, profitant de la liberté de la perestroïka gorbatchévienne, demande son détachement de l'Azerbaïdjan et sa réunification avec l'Arménie, en respectant à la lettre la Constitution et les lois soviétiques en vigueur. La réponse de l'Azerbaïdjan, ce furent des pogroms ; d'abord, à Soumgaït, pendant trois jours, un pogrom déploré à l'époque par la communauté internationale ; puis à Bakou, à Kirovabad...

En 1990, le Haut-Karabagh fait sécession en toute conformité avec la législation en vigueur. Il proclame son indépendance en se référant à la loi soviétique d'avril 1990 selon laquelle les entités autonomes d'une république soviétique qui quitte l'URSS ont le droit de décider de leur sort : elles peuvent soit quitter l'URSS en restant au sein de la république soviétique, soit rester au sein de l'URSS, soit proclamer à leur tour leur indépendance. Le Haut-Karabagh choisit la troisième option en toute légalité, d'abord par la voix de ses parlementaires puis en faisant entériner cette décision par un référendum - 99 % de la population a voté en faveur de l'indépendance.

La réponse de l'Azerbaïdjan fut la guerre, qui a duré plusieurs années. Les Arméniens ont connu au début des revers militaires, mais sont parvenus à changer la donne, à sécuriser le Haut-Karabagh et à reprendre les districts avoisinants. Un cessez-le-feu est signé en 1994, à la demande de l'Azerbaïdjan, entre l'Arménie, le Haut-Karabagh et l'Azerbaïdjan. Cet accord a ouvert la voie à des négociations de paix, placées sous l'égide du groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), composé de la France, de la Russie et des États-Unis.

Les médiateurs ont fait de grands efforts pour parvenir à un règlement. À plusieurs reprises, ils ont très proches d'aboutir à une solution : d'abord en 2001 à Paris, sur la base de négociations organisées sur l'initiative du président Chirac ; puis en 2011 en Russie par le président russe. Ces négociations n'ont pas abouti parce qu'à la dernière minute l'Azerbaïdjan a fait marche arrière, notamment en raison du soutien, militaire et politique, de la Turquie.

La guerre qui a commencé le 27 septembre dernier et qui a duré 6 semaines était une guerre totale sur un périmètre extrêmement limité, avec le déploiement de milliers de chars et l'usage d'artillerie. C'était aussi une guerre inégale, menée par les Arméniens seuls contre l'Azerbaïdjan, la Turquie et les mercenaires djihadistes. Elle a été gagnée par la coalition turco-azérie au prix de crimes de guerre : bombardements des populations civiles - des journalistes français du journal Le Monde ont été grièvement blessés -, utilisation de bombes à sous-munitions et de bombes à phosphore, qui font des dégâts environnementaux importants, décapitations, mutilations de cadavres, tortures des prisonniers de guerre, profanations et destructions du patrimoine religieux et culturel.

Puisque vous m'y avez autorisée, monsieur le président, je vous montrerai quelques extraits de photographies ou de vidéos prises par les Azéris eux-mêmes et relayées sur les réseaux sociaux, afin d'exalter leur fibre nationaliste.

C'est une épuration ethnique qui s'est produite au Haut-Karabagh. La communauté internationale doit se mobiliser, porter une voix forte, pour dénoncer ce qui s'est passé, prévenir le désastre, et mettre la population du Haut-Karabagh sous la protection du droit international.

Pour prévenir l'extermination, il faut une reconnaissance du Haut-Karabagh. C'est la seule solution. Le droit à l'autodétermination du peuple prime l'inviolabilité des frontières ou l'intégrité territoriale parce qu'une extermination physique est envisagée. La sécession apparaît comme la solution pour prévenir un nouveau génocide.

Une reconnaissance internationale du Haut-Karabagh serait le message fort qui garantirait un règlement définitif de ce conflit et empêcher le déclenchement d'une nouvelle guerre. C'est le seul moyen qui permettrait d'éviter que le Haut-Karabagh ne se retrouve pas, comme le président turc en brandit la menace, dans le Croissant rouge.

Je vous remercie de votre attention. Je voudrais terminer en projetant quelques extraits vidéos, qui ont été filmées par les Azéris eux-mêmes et montrent l'exécution de combattants arméniens. Ils sont durs à regarder, ils peuvent choquer, ils montrent l'aspect sale de cette guerre, je vous prie de bien vouloir m'en excuser. Les photographies attestent de l'utilisation de bombes à phosphore et de la destruction de monuments historiques arméniens par l'armée azerbaïdjanaise. (Mme l'ambassadeur fait projeter des extraits de vidéos et des photographies.)

M. Christian Cambon, président. - Merci pour votre témoignage qui replace le conflit dans son contexte historique. Dans cette affaire complexe sur le plan diplomatique, il est important de se rappeler le passé.

Vous avez évoqué les souffrances que le peuple arménien continue à endurer, qui ont certainement justifié l'initiative du président du Sénat. Cette initiative est un symbole fort : nous nous doutons bien que le vote de ce texte n'arrêtera pas les manifestations que vous avez évoquées, mais elle permet de montrer que nous sommes à vos côtés.

M. Gilbert Bouchet- Il est très difficile de prendre la parole après les images que nous venons de voir. La longue tradition d'amitié qui unit nos pays est précieuse : elle doit nous permettre d'envisager les meilleures solutions pour la paix et pour le respect du droit international, de l'intégrité physique des Arméniens et de l'intégrité de leur héritage culturel.

En tant que parlementaires, nous sommes profondément inquiets des modalités de l'application du cessez-le-feu dans la région du Haut-Karabagh. Je souhaiterais aborder la situation politique intérieure et les graves conséquences de cette crise démocratique et politique.

Le service national de sécurité arménien a annoncé, il y a quelques jours que le Premier ministre Nikol Pachinian aurait échappé à une tentative d'assassinat. Celui-ci vient d'annoncer un plan en 15 points pour sortir des crises qui menacent la stabilité politique, laquelle est pourtant nécessaire au moment où il faut veiller à l'établissement de conditions de paix acceptables et durables.

Ce plan devrait contenir une réforme électorale, une réforme militaire, ainsi qu'un volet social et sanitaire. Quelles précisions pouvez-vous nous apporter à ce sujet ? Comment ce plan est-il accueilli par la population ? Enfin, quelles mesures seront prises en faveur des habitants de la région du Kalbajar, district qui, selon les accords, doit retourner aux Azéris ?

M. Rachid Temal- Je veux réaffirmer l'amitié entre nos deux peuples et la nécessité de respecter le droit international. Quelle est votre attente quant à l'adoption par le Sénat de cette proposition de résolution qui vise à reconnaître l'indépendance du Haut-Karabagh ? Jusqu'à présent, l'Arménie n'avait pas reconnu cette indépendance. Quelle est la position de l'Arménie concernant les territoires occupés ? Quid des populations déplacées et des réfugiés ? Quelle est votre vision des relations avec la Russie, qui est le parrain de l'accord de cessez-le-feu ? Au-delà de l'initiative du Sénat, qu'attendez-vous de la France ?

M. Olivier Cadic- Au nom de mon groupe, je vous adresse un message d'amitié et de soutien. Nous pensons aux milliers de victimes arméniennes de ce conflit, notamment ces jeunes conscrits de 18 ou19 ans qui constituent le contingent le plus important de victimes.

Ce conflit territorial est dépassé par un conflit géopolitique entre la Russie et la Turquie. Le recours à la force pour régler des problèmes territoriaux est inacceptable. Cela pose la question du rôle de l'ONU.

Quand une délégation parlementaire s'est rendue à Erevan, le Premier ministre arménien n'a pas évoqué la question de la reconnaissance de la République du Haut-Karabagh. Cette reconnaissance ne constituera d'ailleurs pas une garantie pour les Arméniens qui y vivent : la reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine par l'ONU en 1992 n'avait pas empêché les massacres de Srebrenica en 1995...

L'accord de cessez-le-feu prévoit des corridors extraterritoriaux, qui devront être mis en place dans un délai de trois ans. Qu'en pensez-vous ? Ne devrait-on pas travailler à une solution diplomatique ?

M. Bernard Fournier. - Je tiens à vous témoigner notre soutien dans le moment difficile que traverse votre pays. Depuis septembre dernier, il y a eu plus de 1 300 morts qui s'ajoutent aux 30 000 morts de la décennie 1990.

Le cessez-le-feu du 10 novembre dernier, conclu sous l'égide de la Russie et de la Turquie, a surpris la communauté internationale et a montré les limites du groupe de Minsk. Il révèle la nouvelle polarité entre la volonté turque de renouer avec la grandeur ottomane et une Russie dont la diplomatie repose sur le pragmatisme, qu'il s'agisse du Haut-Karabagh, de la Syrie ou de l'Ukraine.

L'Arménie a toujours pu compter sur la France et la singularité de sa vision diplomatique. Qu'attend la diplomatie arménienne de notre pays ? Et dans quelle enceinte diplomatique ?

Outre le volet diplomatique, le Président de la République Emmanuel Macron a promu le fonds d'entraide au profit des Arméniens déplacés. Quels seraient les autres leviers de la France ?

Au sein de l'Union européenne, la France est une nation qui a souhaité maintenir le dialogue avec la Russie, qu'elle considère comme un partenaire historique. Après avoir entendu certaines déclarations inacceptables, notamment de l'Azerbaïdjan, l'urgence est à la garantie de la sécurité physique des Arméniens dans la région. Le nouveau ministre des affaires étrangères Ara Ayvazyan, s'est entretenu avec son homologue russe, Serguei Lavrov. Quelles sont les modalités envisagées pour protéger les citoyens de la région face aux violences et à la volonté d'effacer tout héritage culturel arménien dans ces districts ?

M. André Vallini. - Les questions que je souhaitais poser l'ont été par Bernard Fournier.

M. André Gattolin. - C'est une guerre sale, comme l'a dit le président Cambon. Mon groupe est à vos côtés.

On constate une inanité des forces concernées extrarégionales : la France, mais aussi les États-Unis. Des responsables du Gouvernement nous disaient attendre une forte initiative américaine, ce pays étant une terre d'accueil pour la diaspora arménienne. Que pensez-vous de la position des États-Unis, et de son absence d'initiative ?

La presse française a évoqué les Arméniens de France retournés là-bas pour se battre aux côtés de leurs frères. Récemment, l'ambassade d'Azerbaïdjan a dénoncé la présence de « mercenaires » français. Sont-ils nombreux ? Transitent-ils par vos services diplomatiques ? Quel est leur sort ? A-t-on trace d'exactions commises à leur encontre ?

M. Pierre Laurent. - J'exprime ma totale solidarité au peuple arménien durement éprouvé. La résolution que nous allons adopter demain est un pas significatif qui, je l'espère, conduira à des évolutions importantes de la position française.

Nous nous étions déclarés favorables à la reconnaissance du Haut-Karabagh il y a un an. La prise en compte du danger qui menaçait les Arméniens a été extrêmement tardive. Je me souviens du dîner des associations arméniennes de France l'an dernier : le Président de la République avait été très directement interpellé sur la signature de chartes d'amitié parfaitement pacifiques par plusieurs communes, rejetées par les préfets à la demande du Gouvernement et du Président de la République, et sur la demande de reconnaissance du Haut-Karabagh. Le Président de la République avait réfuté ces deux possibilités en évoquant la nécessité de préserver le rôle de la France dans le groupe de Minsk.

La France est dans une situation de conflit avec la Turquie sur de nombreuses questions. Néanmoins nous sommes membres de la même alliance militaire, l'OTAN. Les armes israéliennes ont servi durement, et nous entretenons des relations, y compris militaires, avec ce pays. Nous avons vendu des armes à l'Azerbaïdjan.

J'espère que la résolution que nous adopterons demain nous aidera à réfléchir à cette situation, et à la manière dont nous devrons peut-être réviser des éléments importants de notre politique. Cette résolution peut-elle, selon vous, jouer un rôle positif ? Qu'attendez-vous de la France, y compris à l'ONU ou au sein de différentes organisations internationales ?

M. Jean-Noël Guérini. - Je peux vous témoigner au nom de mon groupe notre soutien et notre amitié. Beaucoup de questions que je souhaitais vous poser l'ont déjà été, mais je voudrais vous interroger sur trois points.

Quinze jours après un cessez-le-feu qui a provoqué des manifestations à Erevan, est-il possible de dresser un bilan humain des combats qui se sont déroulés dans le Haut-Karabagh ?

De manière plus pragmatique, quels sont aujourd'hui les besoins de l'Arménie, qui doit accueillir des milliers de réfugiés ayant tout abandonné ?

Concernant le groupe de Minsk, votre gouvernement estime-t-il toujours cette instance crédible ?

M. Joël Guerriau. - Je voudrais souligner tout l'intérêt de votre intervention, dans laquelle vous avez mis de la passion : vos propos sont sincères et reflètent des émotions liées à vos convictions.

Le recours à la force est inadmissible. La résolution que nous adopterons demain risque de ne pas nous prémunir de tout risque, comme l'a dit Olivier Cadic. Quelles autres mesures pourraient garantir la paix ? Le président azerbaïdjanais a proposé aux Arméniens du Haut-Karabagh une autonomie culturelle dans le cadre constitutionnel de l'Azerbaïdjan. Cette intention qui semble très positive va-t-elle dans le bon sens ? Cette perspective serait-elle acceptable pour les Arméniens du Haut-Karabagh ? Pourrait-elle devenir une solution alternative à la reconnaissance de l'indépendance de ce territoire ?

M. Guillaume Gontard. - Au nom de mon groupe, je vous adresse un message d'amitié, de soutien et de solidarité, en souhaitant que la résolution qui sera débattue demain permette de faire évoluer la situation.

Outre l'instabilité politique liée à la défaite militaire, on sait que l'Arménie est confrontée à une crise économique et humanitaire d'ampleur : un tiers de la population vivait sous le seuil de pauvreté avant la guerre ; plusieurs dizaines de réfugiés vont quitter le Haut-Karabagh pour rejoindre l'Arménie : à cela s'ajoute la crise du covid, alors qu'on sait que les hôpitaux sont surchargés. Comment le gouvernement arménien s'apprête-t-il à gérer cette crise ? Quels sont vos besoins à ce titre ?

Sur le statut des réfugiés du Haut-Karabagh qui vont rejoindre l'Arménie, seront-ils faits citoyens arméniens ou auront-ils un statut spécial ?

Mme Hasmik Tolmajyan. - Je vous remercie de vos questions. Je pense que le moment de la guerre a été soigneusement choisi : le contexte du covid a été certainement pris en compte, sachant que toutes les sociétés, notamment occidentales, étaient concentrées sur la gestion de la crise sanitaire et ses conséquences économiques et sociales.

Le moment de la guerre a été aussi choisi parce qu'il correspondait aux élections américaines, et que les États-Unis étaient concentrés sur la préparation des élections, puis sur le comptage des voix. Pendant cette période, l'administration américaine était inactive, sachant que ce pays aurait pu avoir un certain rôle pour contenir, à la fois, l'Azerbaïdjan et surtout la Turquie.

Nombreux, étaient ceux en Arménie qui étaient étonnés d'apprendre les termes de cessez-le-feu. Le choix a été non pas entre le bien et le mal, le mieux et le pire, mais entre le pire et l'enfer.

La France a salué non pas les termes de cessez-le-feu, mais l'arrêt des combats en indiquant qu'il ne s'agissait pas d'un règlement définitif, que le processus de paix devait continuer sous l'égide de la coprésidence du groupe de Minsk, de nombreuses questions restant à régler. Elle a évoqué les personnes déplacées. La question du statut est anéantie dans les 9 points du cessez-le-feu.

Aujourd'hui, le souhait de l'Arménie, c'est de reprendre, sous la coprésidence du groupe de Minsk, le processus politique qui pourrait nous conduire à un règlement définitif. Le cessez-le-feu a été fait au détriment des intérêts arméniens ; la situation reste extrêmement dangereuse pour l'ensemble des Arméniens.

Après tous les crimes de guerre et les violations du droit international commis par ce pays, l'Azerbaïdjan n'a, me semble-t-il, moralement pas le droit d'évoquer le droit international. Utiliser le droit international pour justifier des crimes de guerre est une interprétation très azerbaïdjanaise...

Pourquoi l'Arménie n'a-t-elle pas jusqu'à présent reconnu le Haut-Karabagh ? D'une part, parce que la reconnaissance par l'Arménie seule de la République du Haut-Karabagh n'aurait qu'une portée restreinte si elle n'était pas suivie d'une plus large reconnaissance internationale. D'autre part, parce que l'Arménie voulait donner une chance au processus de paix. Comme la question de la reconnaissance du Haut-Karabagh était le sujet central de la négociation - le ministre des affaires étrangères français l'a encore rappelé il y a deux jours -, l'Arménie ne voulait pas préjuger de cette question avant même que le processus arrive à son terme. C'est pour montrer sa bonne foi et sa fidélité au processus de négociations que l'Arménie n'a pas procédé à cette reconnaissance.

En ce qui concerne les « mercenaires » français - j'ai du mal à utiliser ce mot ! -, il est vrai que des Français d'origine arménienne se sont rendus sur place. Il s'agissait pour la plupart d'artistes, de musiciens, d'écrivains venus pour réconforter, épauler les Arméniens et pour témoigner. Aux nombreux appels reçus dès les premiers jours de la guerre de la part des Français d'origine arménienne et de binationaux installés en France qui souhaitaient se rendre au Haut-Karabakh, le message de l'ambassade a toujours été très clair : nous n'encourageons pas les Arméniens vivant à l'étranger à se rendre sur place. Au contraire, ce sont des messages apaisants qui ont été transmis indiquant que la situation est maîtrisée et en proposant d'apporter leur contribution à travers l'aide humanitaire. Certes, il y a eu des initiatives personnelles des Franco-arméniens - d'une dizaine - à ma connaissance - qui s'y sont rendus pour être aux côtés de leurs compatriotes dans leur lutte pour la survie du peuple d'Artsakh, mais ceci n'a pas été coordonné avec l'ambassade.

Le lien entre l'Arménie et la France est extrêmement fort. La France est vraiment le pays ami par excellence pour l'ensemble des Arméniens. La visite des parlementaires français a été perçue comme une marque de solidarité pendant ces moments graves de guerre.

Vous m'avez demandé mon avis sur la proposition de résolution qui sera examinée demain. Je ne me permettrai pas d'intervenir dans le processus politique français, mais l'inscription de ce texte à l'ordre du jour est déjà un message extrêmement fort. Cette résolution porte un message d'espoir, de solidarité et d'amitié, qui protège la population arménienne.

Vous avez évoqué le retour des réfugiés et des personnes déplacées. Comment aborder ce sujet sans perspective de stabilité et de paix ? La reconnaissance de la république est le moyen le plus sûr pour donner cette perspective, parce que la paix et la sécurité en dépendent.

M. Guerriau a demandé si l'Arménie pouvait envisager l'autonomie culturelle proposée par le président Aliyev. La politique de xénophobie, de haine contre les Arméniens, est érigée au niveau de politique d'État en Azerbaïdjan. Le président Aliyev a déclaré que le peuple arménien était l'ennemi numéro 1 de l'Azerbaïdjan : il n'est question ni des Arméniens du Karabagh ni des Arméniens de l'Arménie, mais du peuple entier arménien tout entier !

Cette haine est tournée aussi contre sa propre population, contre les intellectuels azéris qui ont osé élever la voix pour dire la vérité, évoquer les pogroms commis par les Azéris contre les Arméniens. Je pense notamment à un écrivain célèbre, Akram Aylisli : son oreille a été mise à prix.

Exemple encore plus flagrant : « l'affaire Safarov ». Ramil Safarov est un officier azerbaïdjanais qui, en 2004, suivait à Budapest des cours d'anglais avec un officier arménien, dans le cadre du programme Partenariat pour la paix de l'OTAN. L'officier arménien a été assassiné dans son sommeil à la hache par l'officier azéri. À son retour en Azerbaïdjan, non seulement il n'a jamais été puni pour ce crime, mais il a été héroïsé, glorifié, et a reçu les décorations suprêmes de l'Azerbaïdjan.

Le président azerbaïdjanais l'a dit avant la guerre, pendant la guerre et même après la signature de cessez-le-feu : « Comme je vous l'avais promis, on a chassé les Arméniens de nos terres comme des chiens. » Après cela, comment imaginer qu'une personne raisonnable puisse retourner vivre au Karabagh s'il n'a pas un statut fort, s'il n'est pas protégé par le droit international ?

On parle d'autonomie culturelle, mais regardez ce qu'il advient du patrimoine culturel arménien !

Le président Aliyev a été récemment interviewé par la BBC. La réponse aux questions du journaliste est toujours : « C'est faux. » Il affirme que c'est par erreur que l'église Saint-Sauveur à Choucha a été bombardée à deux reprises, mais dit ensuite que toutes les attaques sont minutieusement préparées. Aux questions sur les agressions, les crimes de guerre et les djihadistes, il répond que c'est complètement faux ou que ce sont des inventions arméniennes. Il est parfois très difficile de démentir des contrevérités.

Il faut un statut fort du Haut-Karabagh qui passe par la reconnaissance internationale de son indépendance. Cette république existe de fait ; certes, elle n'est pas reconnue internationalement, mais elle a une organisation démocratique, avec de vraies élections, un président, une alternance...

Les intellectuels, les spécialistes du droit international, ont appelé ces derniers jours à la reconnaissance de l'indépendance du Haut-Karabagh, seule possibilité de prévenir le pire. Le Conseil de sécurité des Nations unies pourrait entériner un accord qui permette d'apporter des réponses aux nombreuses questions restées pendantes avec la conclusion du cessez-le-feu.

Un principe fondamental du droit international est le non-recours à la force. L'Azerbaïdjan a déclenché une guerre d'agression, accompagnée de crimes de guerre. Peut-on vraiment envisager le maintien du Haut-Karabagh dans le giron de ce pays ?

La France apporte un soutien humanitaire à l'Arménie. Un avion est parti dimanche dernier, un autre partira vendredi, pour apporter une aide humanitaire qui sera très appréciée. Des localités au Haut-Karabagh sont complètement détruites ; on parle de retour des personnes déplacées, mais on ne sait pas dans quelles conditions.

Aujourd'hui, la question est non pas la survie des Arméniens dans le Haut-Karabagh, mais celle de tout le peuple arménien sur sa terre.

M. Jean-François Rapin. - Nous sommes touchés par vos propos très sensibles et empreints d'émotion. Nous entendons également votre angoisse face aux événements.

Vous n'avez pas évoqué les pertes humaines que vous avez subies sur votre territoire. Nous recevons un certain nombre d'informations sur le sujet, mais elles ne sont pas toutes crédibles. Avez-vous des chiffres à nous livrer ?

Demain, le Sénat français prendra une position très forte, qui sera certainement commentée. Dans vos propos, vous avez indiqué votre souhait de voir le groupe de Minsk être désigné comme l'autorité qui présidera le processus de paix.

Je doute fort que les Turcs reçoivent le message français de façon apaisée et suis à peu près certain qu'ils demanderont, dans les jours qui viennent, à devenir un interlocuteur incontournable de ce processus.

M. Gilbert Bouchet. - Je réitère ma question : quelles précisions pouvez-vous nous apporter en ce qui concerne la réforme électorale, la réforme militaire et le volet social et sanitaire ? Comment est-il accueilli par la population ?

M. Christian Cambon, président. - Madame l'ambassadrice, quelles précisions pouvez-vous nous apporter sur la présence de mercenaires djihadistes aux côtés de l'Azerbaïdjan ?

Quel est, selon vous, l'intérêt pour la Russie à voir se constituer sur son flanc sud une domination turque, avec toutes les conséquences qu'elle peut entraîner ? Dans certains conflits, ces deux pays coopèrent, dans d'autres, comme en Syrie, ils s'affrontent.

Comment interprétez-vous cette séquence ? S'agit-il, pour la Russie, de faire jouer sa zone d'influence dans cette partie du Caucase du Sud ? Ces deux pays sont-ils liés dans ce conflit ?

Des responsables russes indiquent être opposés à la présence de soldats turcs dans leur contingent de 2 000 soldats.

Mme Hasmik Tolmajyan. - S'agissant des djihadistes, le nombre de 2 000 a été confirmé par plusieurs sources internationales - 300 auraient trouvé la mort durant les combats. Nous disposons également de vidéos dans lesquelles certains affirment être venus combattre pour 100 euros par jour. Ces djihadistes n'ont pas été rapatriés, ils restent dans les régions passées sous le contrôle de l'Azerbaïdjan et où la Turquie envisage une vraie politique de peuplement, de colonisation, notamment en favorisant le regroupement des familles de ces djihadistes. Ce poids démographique va devenir extrêmement dangereux.

Ce n'est donc pas uniquement la présence de 2 000 djihadistes que nous dénonçons, mais bien cette présence forte et renforcée.

La Turquie et l'Azerbaïdjan vont sans aucun doute réagir à la suite du vote de la résolution.

M. Christian Cambon, président. - Ils l'ont déjà fait.

Mme Hasmik Tolmajyan. - Cela montre à quel point ce message est important.

Vous me demandez, monsieur le président, quel est l'intérêt pour la Russie d'avoir des djihadistes à sa frontière : aucun ! Ils sont une menace, non seulement pour la Russie, mais également pour l'Europe.

Voilà quelques jours, le Parlement turc a voté une résolution visant à envoyer des troupes au Karabagh. Mais la réalité est autre : les troupes sont déjà sur place. Ce vote permet seulement de leur donner un statut officiel.

Il est aujourd'hui très naïf de penser qu'un cessez-le-feu pourra être instauré, que la guerre est terminée. Ce n'est pas le cas ! La prochaine guerre sera encore plus cruelle. Il pourrait s'agir d'une guerre par procuration, dont la région serait simplement le théâtre. Cent ans après la disparition de l'Empire ottoman, la Turquie se renforce, avec une présence politique et militaire dans le Caucase.

La présence politique et militaire turque dans le Caucase du Sud est une réalité. Cela préoccupe également la Russie.

Ce sont les raisons pour lesquelles la reconnaissance de la République du Haut-Karabagh est la solution qui sauvera ce bout de terre arménienne et sa population de souche et permettra le retour de ses habitants.

Il m'est parfois demandé s'il s'agit d'un affrontement entre deux civilisations. Mais la barbarie n'est pas une civilisation !

L'Europe se trouve face à un choix : laisser perdurer l'expansionnisme turc ou s'opposer à la barbarie ? L'étau se resserre.

Enfin, l'Arménie traverse aujourd'hui une période extrêmement difficile et les événements du Karabagh ont une répercussion directe sur sa politique intérieure. L'Arménie est, et restera, une démocratie, et les processus qui seront instaurés iront toujours en ce sens. Les réformes nécessaires pour garantir la stabilité intérieure du pays, sans remettre en cause les libertés fondamentales et la vie démocratique, seront poursuivies dans les meilleures conditions.

M. Christian Cambon, président. - Madame l'ambassadeur, je vous remercie. Les nombreuses informations que vous nous avez livrées permettront à chacun - j'en suis persuadé - de se faire une idée plus précise de la situation : vous avez replacé ce conflit dans son histoire et sa géographie.

Le Sénat adoptera très vraisemblablement cette résolution qui ne vise pas à mettre en cause le Gouvernement français, mais qui lui envoie un message afin qu'il s'investisse davantage et reprenne toute sa place au sein du groupe de Minsk. Nous n'avons jamais cru, dans ce conflit comme dans bien d'autres, à des solutions militaires, même si elles s'imposent aujourd'hui dans leur dureté.

Sachez par ailleurs que nous sommes attentifs à la situation intérieure de l'Arménie. Une crise politique ferait le lit de vos adversaires, même si nous pouvons comprendre la réaction des Arméniens à l'égard de leur gouvernement, après la violence des événements. La communauté arménienne doit comprendre que la stabilité intérieure conditionne l'action des pays amis.

Mme Hasmik Tolmajyan. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais vous remercier de nouveau de votre invitation, de votre disponibilité et de toutes les questions que vous m'avez posées. Je vous prie d'ailleurs de m'excuser si toutes n'ont pas reçu de réponses.

Ce qui se passe en France est suivi de près en Arménie, avec beaucoup d'émotion, d'espoir et d'optimisme.

Audition de SE M. Rahman Mustafayev, ambassadeur d'Azerbaïdjan en France

M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, le Sénat examinera demain, à la demande du président Gérard Larcher, une résolution présentée par les présidents de cinq groupes politiques du Sénat, tendant à reconnaître la République du Haut-Karabagh.

Je me doute bien que vous ne trouverez pas cette résolution, qui n'emploie pas la langue de bois, très opportune. Elle sera très largement soutenue dans nos rangs.

Je vous remercie de venir devant nous : nous ne craignons pas le débat au Sénat, et j'ai souhaité vous donner l'opportunité de vous exprimer publiquement devant les membres de la commission. Mme l'ambassadeur d'Arménie a également été entendue.

Je veux rappeler les liens qui unissent nos deux pays. Les relations franco-azerbaïdjanaises connaissent de brillantes réussites, notamment dans les domaines éducatif, universitaire, culturel et scientifique. L'Azerbaïdjan est le premier partenaire commercial de la France dans le Caucase du Sud. Le président Aliyev a été accueilli à l'Élysée il y a quelques mois et les deux chefs d'État entretiennent des relations très suivies - de même que nos ministres des affaires étrangères.

S'agissant du Haut-Karabagh, vous savez combien l'opinion publique française et nous-mêmes, parlementaires, avons été choqués par la violence extrême qui a été employée dans ce conflit. Des crimes de guerre ont été commis : bombardements de civils, bombes à sous-munitions, mutilations et exécutions filmées de prisonniers de guerre, utilisation alléguée de phosphore. Nous souhaitons que ces crimes soient identifiés et, le cas échéant, punis.

Par ailleurs, nous sommes très inquiets par la présence de combattants étrangers, djihadistes, notamment en provenance de Syrie.

Nous sommes nombreux ici à regretter l'impuissance du groupe de Minsk, qui a laissé les armes parler et la force s'imposer. Nous aurions souhaité qu'il trouve une solution autre que par les armes.

Vous connaissez la position française sur l'attitude de la Turquie - avec qui nous avons des relations historiques, et gardons des liens commerciaux -, que nous jugeons profondément déstabilisatrice. Je l'ai dit à votre collègue turc, il y a quelques jours.

Nous souhaitons entendre votre analyse sur l'origine de ce conflit, sur les derniers événements, mais aussi réfléchir avec vous à une solution durable et pacifique, ce conflit ayant déjà entraîné trop de souffrances.

Nous souhaitons également vous interroger sur l'influence renforcée de la Russie dans le Caucase, qui disposera, aux termes de l'accord de cessez-le-feu du 10 novembre, d'un contingent de 2 000 soldats dans la zone. Est-ce une bonne chose selon vous ?

Que pensez-vous de la présence de combattants étrangers, au nombre de plusieurs milliers, aux côtés de la Turquie : quelle est la position de votre gouvernement à ce sujet ? Est-ce un élément favorable pour la pacification de cette région ?

M. Rahman Mustafayev, ambassadeur d'Azerbaïdjan en France. - Monsieur le président, je vous remercie de me donner la possibilité de m'exprimer. C'est un honneur d'être parmi vous, alors même que le projet de résolution que vous vous apprêtez à soumettre au vote est fondé sur de fausses informations, totalement détachées des réalités juridiques, politiques et diplomatiques.

Cependant, en me conviant, le Sénat fait montre de valeurs républicaines, contrairement à l'Assemblée nationale, où aucun responsable de groupe politique n'a trouvé le temps de me recevoir pour entendre notre point de vue, alors que l'ambassadrice arménienne a souvent été invitée.

De même, lorsque la presse française publie des propos défavorables à mon pays, elle ne m'accorde jamais de droit de réponse.

Je n'ai pas préparé de propos liminaire, je répondrai simplement à plusieurs points évoqués dans l'exposé des motifs de la résolution.

Tout d'abord, il est écrit, dans le troisième paragraphe : « l'agression perpétrée par la République d'Azerbaïdjan à l'encontre de la population du Haut-Karabagh ».

On ne peut pas être agresseur dans son propre territoire. Lorsque la guerre a été déclenchée dans cette région, en 1992-1993, près de 20 % du territoire de la République d'Azerbaïdjan étaient occupés par les forces armées arméniennes, la région de Haut Karabakh et 7 districts avoisinants. Le Conseil de sécurité avait alors adopté quatre résolutions - en avril, juillet, octobre et novembre 1993 - exigeant le retrait immédiat, complet et inconditionnel des troupes arméniennes de toutes les zones occupées d'Azerbaïdjan.

Le processus de paix a été lancé en 1992 avec la constitution du groupe de Minsk. Malheureusement, ses efforts n'ont pas permis de trouver une solution. Au contraire, l'Arménie a tenté, en juillet 2020, d'élargir la zone de conflit selon un nouveau concept de défense et de sécurité nationale - créé par elle - prévoyant la « consolidation de la guerre de libération ». Le ministre arménien de la défense s'est exprimé à de nombreuses reprises sur ce sujet, indiquant que "nous devions prévoir de nouvelles guerres pour de nouveaux territoires". Ces déclarations et provocations arméniennes militaires ont déclenché un conflit en septembre, avec la riposte de l'armée azerbaïdjanaise.

Il n'est donc pas juste, aujourd'hui, d'utiliser les termes « l'agression perpétrée par la République d'Azerbaïdjan ». Nous avons simplement appliqué notre droit résultant des dispositions des quatre résolutions du Conseil de sécurité.

Par ailleurs, l'Azerbaïdjan, qui n'a pas réussi à libérer ses territoires par les moyens diplomatiques, du fait notamment de la passivité du groupe de Minsk, dispose d'un droit naturel de défense légitime, découlant de l'article 51 de la charte de l'Organisation des Nations unies.

Toujours dans le troisième paragraphe, il est indiqué : « n'hésitant pas à déployer sur le théâtre d'opérations des groupes djihadistes venus de Syrie ».

Nous avons répété, à plusieurs reprises, que nous n'avions jamais fait appel à des djihadistes. Notre président a dénoncé ces accusations comme injustes et irréalistes et demandé de lui adresser les preuves de la présence d'éventuels djihadistes ou de s'excuser devant le peuple azerbaïdjanais. Or, contrairement à ce qui est publié dans les médias français, aucune preuve n'a été apportée.

Contrairement aux renseignements français, les renseignements azerbaïdjanais ont élaboré un rapport de 49 pages dans lequel vous pourrez trouver la preuve de la présence de mercenaires étrangers dans les forces armées arméniennes : noms et prénoms des combattants, cartes d'identité, pays d'origine et même numéros de portable.

Vous trouverez, page 28, les noms de 14 mercenaires français, la majorité étant d'origine arménienne. Ces derniers sont appelés, conformément au droit international, des « militants étrangers ». Si vous le souhaitez, monsieur le président, vous pouvez les appeler, de cette salle, et ainsi vérifier la véracité de nos dires. Contrairement à la France, qui n'a pas été capable, jusqu'à présent, de nous livrer la preuve de la présence de djihadistes dans les rangs des forces armées azerbaïdjanaises.

Nous avons saisi les autorités judiciaires françaises en vue de l'ouverture d'une enquête sur les crimes de guerre et exactions commis par des militants français et militants des autres pays.

Non seulement l'Azerbaïdjan n'a pas fait appel à des djihadistes, mais elle a proposé à la France de lutter conjointement contre le terrorisme. En effet, en février 2020, le conseiller diplomatique du président Ilham Aliyev s'est rendu à Paris pour rencontrer son homologue de l'Élysée et proposer à la France notre contribution avec les projets humanitaires, sociales et économiques pour les zones, libérées par les militaires français dans la région du Sahel - une proposition historique et stratégique. Or nous n'avons jamais reçu de réponse. J'ai renouvelé cette proposition, en septembre, lors de mon entretien avec le coprésident français du groupe de Minsk, M. Visconti ; celui-ci l'a évalué comme très sérieuse et intéressante et a promis de se renseigner et de revenir vers nous. Aucune réponse officielle.

Par ailleurs, en octobre 2019, l'Azerbaïdjan a pris la présidence pour trois ans du Mouvement des pays non-alignés, regroupant 120 pays. Nous avions alors proposé à la France la coopération avec ce Mouvement dans le cadre de notre présidence, considérer dans l'agenda du Mouvement ses préoccupations politiques, ses enjeux internationaux, régionaux, dont nous aurions pu débattre. Pour la paix, sécurité et développement de l'Afrique et autres régions. De la même façon, nous n'avons reçu aucune réponse. Un silence qui marque, peut-être, le peu d'importance que représente cette organisation pour la France.

Nous avons proposé donc à la France de considérer cette opportunité de travailler avec nous, dans le cadre de cette Organisation, en faveur de la prospérité de cette région. Nous avons toujours été ouverts pour la coopération, nous avons proposé des initiatives.

Je voudrais revenir sur le quatrième paragraphe de votre exposé des motifs, qui fait référence au Haut-Karabagh comme au « berceau de la civilisation arménienne », « peuplé presque exclusivement d'Arméniens tout au long de son histoire ». Un territoire qui aurait ainsi été « détaché arbitrairement de l'Arménie au profit de l'Azerbaïdjan ».

Je suis en désaccord avec cette façon de voir les choses. Au XIXe siècle, cette région (khanat) de Karabagh a été rattachée à la Russie comme le territoire musulman azerbaidjanais. Et le premier rapport officiel sur la composition ethnique de cette région préparé par l'administration caucasienne de l'Empire en juillet 1811 est clair et net. Ce document signale: "12 000 familles sont recensées dans notre possession dans la province du Karabagh, les arméniennes comptant jusqu'à 2 500 familles, toutes les autres étant des azerbaïdjanaises de religion musulmane". Douze ans plus tard, en 1823, un autre document officiel fait état de plus de 15 000 familles azerbaïdjanaises sur un total de 20 000.

Et puis, en 1911, alors qu'une politique de colonisation arménienne avait été mise en oeuvre par l'empire tsariste dans la région, les responsables russes rédigent un rapport "Nouvelle menace pour la politique russe dans le Transcaucasie", dans lequel ils notent que "sur 1,3 million d'Arméniens transcaucasiennes, plus de 1 million n'appartiennent pas aux peuples autochtones de la région et ont été installés par nous", et qu'ils "ont eu recours à de faux témoignages pour se saisir de vastes espaces de terres appartenant à l'État".

Des responsables français ont également témoigné de l'appartenance azerbaïdjanaise de Karabagh. En février 1917, Aristide Briand, alors président du Conseil chargé des affaires étrangères de la France en guerre, a créé un "Comité d'études" qui devait produire des documents en vue de la fin de la guerre et Conférence de la Paix. En fin 1918, deux rapports préparés par ce Comité se concentraient sur la région et témoignaient du fait que, "depuis l'effondrement de l'empire tsariste, une République arménienne (...) comportait des minorités telles que les Tatars [Azerbaïdjanais]. Les Arméniens étaient nombreux dans le Karabagh, situé hors des limites de la République arménienne ».

La thèse selon laquelle Staline aurait rattaché le Haut-Karabagh à l'Azerbaïdjan est très populaire dans les médias français et résolutions parlementaires et, chaque fois que je tente de répondre à cette fausse affirmation, je suis confronté à un réel blocage et ne parviens pas à faire entendre une opinion contraire dans les journaux qui publient cette information mensongère. Les termes du décret proclamant l'autonomie du Haut-Karabagh du 5 juillet 1921 sont clairs: "Partant de la nécessité d'une paix nationale entre musulmans et les Arméniens, des liens économiques entre le Karabagh supérieur et inférieur, et ses liens constants avec l'Azerbaïdjan, maintenir le Haut-Karabagh dans la République soviétique d'Azerbaïdjan, tout en lui conférant une large autonomie régionale". Les mots « liens constants » et « maintenir » sont sans ambiguïté, et prouvent bien que cette région était déjà dans le cadre de l'Azerbaïdjan ; le régime bolchévique n'a fait que lui assurer une large autonomie.

Dans le cinquième paragraphe, vous faites référence au « référendum d'autodétermination tenu le 10 décembre 1991 ». Or je tiens à signaler que ce scrutin a eu lieu après le nettoyage ethnique de ce territoire par l'Arménie. Il convient de mentionner, qu'avant la chute de l'Union soviétique, la région de Haut Karabagh dans le cadre de l'Azerbaïdjan était une région prospère, multiethnique et multiconfessionnel et, selon un dernier recensement réalisé en 1989 avant le début du conflit, les Azerbaïdjanais y représentaient 22 % de la population, les Arméniens 74 %. Par ailleurs - et ce fait est toujours négligé par les médias et les rapports officiels -, pas moins de 48 minorités ethniques et religieuses étaient présentes dans la région, parmi lesquelles des Russes, des Ukrainiens, des Juifs, des Bulgares, des Hongrois, des Grecs, des Kurdes, des Allemands, des Polonais et des autres ethnies, qui représentaient près de 4 % de sa population. Aujourd'hui c'est la région majoritairement, pour 95 %, peuplée d'arméniens, comme dit la presse française. Mais je crois que c'est 100 %. Donc, avant la proclamation de soi-disant indépendance du territoire, l'armée séparatiste arménienne a chassé toutes ces minorités. C'est à dire, et c'est un fait historique, il y avait 48 minorités ethniques et religieuses dans le Haut Karabagh à l'époque de l'Azerbaïdjan musulmane, tolérante, mais sous tutelle l'Arménie chrétienne, chauvine il n'en reste aucune.

Les faits historiques et démographiques démontrent donc le caractère erroné d'une thèse de "Haut-Karabagh historiquement arménien", et je voudrais à présent aborder l'aspect juridique du sujet. Dans le droit international, le principe d'autodétermination est l'un des plus importants. Cependant, selon la résolution adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 24 octobre 1970, intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations », il est prévu que le principe des peuples à disposer d'eux-mêmes "ne doit pas autoriser ou encourager une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout État souverain et indépendant". De même, selon cette même déclaration, les États doivent "s'abstenir de toute action visant à rompre partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un autre État". L'Arménie a violé ce principe, elle a participé à un nettoyage ethnique et à des crimes de guerre.

M. Christian Cambon, président. - Je vous invite à en venir aux faits les plus récents, pour que vous n'épuisiez pas le temps qui vous est imparti et que nous puissions avoir une discussion.

M. Rahman Mustafayev. - Dans le cinquième paragraphe de l'exposé des motifs, vous évoquez « un territoire non autonome dépourvu de statut juridique définitif ». Cependant, le statut est défini dans les résolutions correspondantes du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale de l'ONU, qui lient la région du Haut-Karabagh à la République d'Azerbaïdjan. Par exemple, la résolution 884 du 12 novembre 1993 "demande au gouvernement arménien d'user de son influence pour amener les Arméniens de la région du Haut-Karabagh de la République azerbaïdjanaise à appliquer les résolutions 822, 853 et 874, et de veiller à ce que les forces impliquées ne reçoivent pas les moyens d'étendre leur campagne militaire".

Par ailleurs, la thèse selon laquelle cette soi-disant absence du statut juridique aurait alimenté « discordes et tensions géopolitiques que les tentatives de médiation menées depuis 1994 n'ont pas réussi à dissiper » contredit le coprésident français M. Visconti qui a dit, ici même et au mois de janvier: "ce format du groupe de Minsk fonctionne parfaitement. Je ne sais pas, s'il serait aujourd'hui possible de réunir un Russe, un Américain et un Français... Cette collaboration offre un exemple unique, avec l'exploration de l'espace, où les États-Unis, la Russie et la France travaillent conjointement, sans tenir compte des contingences géopolitiques".

Vous évoquez également les « bombardements massifs de la ville de Khankendi ou Stepanakert, qu'aucun motif stratégique ne justifiait ». Les bombardements n'ont pas visé Khankendi - ou Stepanakert, elle-même, mais ses alentours. Par ailleurs, les troupes arméniennes y étant largement concentrées, quelques lignes de défense, ces bombardements s'ils avaient eu lieu auraient pu avoir un motif stratégique. Ce qui n'était pas le cas des opérations menées par les Arméniens contre des villes azerbaïdjanaises situées jusqu'à 200 kilomètres de la zone de conflit. Ainsi, comme vous pouvez le voir, des zones résidentielles ont souffert de bombardements arméniens à Gandja, deuxième ville du pays, qui se trouve à plus de 60 kilomètres du Haut-Karabagh. (M. l'ambassadeur fait projeter des photographies.) Les Arméniens ont notamment lancé sur la ville des missiles stratégiques SKUD (300 km de distance et 5 tonnes de poids), dont l'utilisation requiert l'autorisation du chef de l'État. C'est à dire, le premier-ministre Pachinian a personnellement autorisé le tir de ces missiles sur les civils azerbaïdjanais.

Cette guerre a fait 95 morts civils du côté azerbaïdjanais, soit davantage que du côté arménien qui en compte 45. Pourtant, aucun civil azerbaïdjanais ne se trouvait dans le Haut-Karabagh. Nos attaques n'ont visé que les forces armées quand la riposte arménienne s'est dirigée contre les quartiers résidentiels de nos villes, éloignées de la zone du conflit. L'évocation des bombardements massifs de Khankendi - ou Stepanakert - n'est donc ni juste ni correcte. D'ailleurs, les Arméniens reviennent aujourd'hui dans cette ville, parce qu'elle n'a pas été bombardée.

M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur l'ambassadeur, pour cette présentation. Mes collègues vont à présent vous poser quelques questions. Je vous rappelle ma propre question sur le sujet des combattants étrangers qui se sont rendus dans votre pays avec l'aide de la Turquie. 

M. Alain Houpert. - Je suis président du groupe d'amitié France-Azerbaïdjan depuis trois ans, je me suis rendu deux fois dans ce pays, et je voudrais témoigner modestement de ce que je ressens. J'ai fait partie des 127 sénateurs ayant voté la loi qui pénalisait la négation du génocide arménien le 23 janvier 2012, et nous ne sommes pas nombreux à l'avoir fait au sein de mon groupe politique.

Je suis triste de voir deux peuples voisins se déchirer. L'ambassadeur a bien montré la complexité du Caucase et, comme au Proche-Orient, il faut y avancer avec des idées simples. Le général de Gaulle est revenu de Bakou avec l'idée d'instituer le droit de vote des femmes car l'Azerbaïdjan avait été le premier État à le faire, dès 1917. De plus, si nous avons gagné la Seconde Guerre mondiale, c'est notamment parce que l'armée allemande a été arrêtée dans le Caucase grâce aux résistants azerbaïdjanais, dont 300 000 ont perdu la vie. En 1992, l'Arménie a envahi le Haut-Karabagh, 280 000 Azerbaïdjanais ont été expulsés d'Arménie et 800 000 du Haut-Karabagh et des sept provinces occupées, soit environ 1 million de personnes déplacées ayant trouvé refuge en Azerbaïdjan. Aujourd'hui, il n'y a pas d'Azerbaïdjanais en Arménie, alors que 40 000 Arméniens vivent en paix en Azerbaïdjan, qui est l'un des États les plus laïcs qui soient. Dans ce pays de confession musulmane, on n'entend pas le muezzin des mosquées, les cloches des églises sonnent le dimanche, et le pape Jean-Paul II a inauguré une cathédrale. Une ville juive se trouve également dans le pays depuis plus de 2000 ans.

Il y a quelques jours, le président Macron a dit devant des donateurs arméniens que le Haut-Karabagh et les sept régions occupées étaient des territoires azerbaïdjanais, propos repris et précisés par notre ministre des affaires étrangères lors d'une interview.

Par ailleurs, en 1993, lorsque le groupe de Minsk a été formé, quatre résolutions ont été adoptées qui donnaient l'injonction à l'Arménie de quitter le Haut-Karabagh et les régions occupées. Nous sommes aujourd'hui dans l'émotion, et la diaspora arménienne présente en France est très importante. J'ai beaucoup de respect pour les Arméniens, j'ai voté pour la reconnaissance du génocide arménien, mais je trouve que l'on va trop loin. Après cette guerre, ces quatre résolutions sont finalement appliquées, et un accord de paix est en train d'être élaboré, qui n'humilie pas l'Arménie et dans le cadre duquel l'Azerbaïdjan lui fait des propositions économiques.

Je rappelle que, il y a quelques années, l'Azerbaïdjan avait proposé à l'Arménie de faire passer un gazoduc sur son territoire, ce qu'Erevan avait refusé. L'été dernier, les Arméniens ont bombardé une ville située à plus de 100 kilomètres de la zone de conflit pour essayer de toucher les infrastructures gazières de l'Azerbaïdjan. Leur missile est tombé sur une maison arménienne. Il me semble que cette résolution met de l'huile sur le feu alors qu'un accord de paix est en train d'être élaboré. Je ne suis ni d'un côté ni de l'autre, mais je sais que deux endroits au monde sont particulièrement fragiles : le Caucase et le Moyen-Orient.

Enfin, la Turquie étend ses intérêts en Méditerranée, a commis le génocide arménien, maltraite le peuple kurde, et j'ai l'impression que nous faisons ici de l'Azerbaïdjan un bouc émissaire, ce qui ne me semble pas très juste.

M. Rachid Temal. - Quelles sont les relations que votre pays entretient avec la Turquie, notamment en termes de coopération militaire ? Plus particulièrement et dans le cas qui nous intéresse, la Turquie a-t-elle soutenu militairement les opérations menées par votre pays ? Confirmez-vous la présence de militaires et paramilitaires turcs, ainsi que de mercenaires de de djihadistes syriens ? En outre, votre pays accepterait-il de coopérer à une éventuelle enquête internationale sur les crimes de guerre commis au Haut-Karabagh ? Par ailleurs, quelle est votre position quant au retour des populations arméniennes ayant quitté le Haut-Karabagh à la suite de l'offensive menée par votre pays ? Enfin, quelles sont les étapes à venir après le cessez-le-feu et l'accord du 10 novembre dernier ?

M. Olivier Cigolotti. - Vous avez effleuré la question de la participation de la France au groupe de Minsk. Aujourd'hui, en Azerbaïdjan, un certain nombre de personnalités politiques, dont des députés, remettent en cause le rôle joué au sein du groupe par la France. Je cite ici les propos tenus : « La France n'a aucun lien avec la région et a profité à une certaine période de la faiblesse de l'Azerbaïdjan pour prendre part en tant que coprésidente au groupe de Minsk. À la France nous préférons la Turquie, qui a des frontières avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et qui possède un grand potentiel et les moyens nécessaires pour assurer la sécurité de la région. Nous souhaitons que la Turquie devienne coprésidente du groupe de Minsk car la Turquie est un pays stable et prospère. Quant à la France, elle ne fait qu'attiser les tensions. »

Quelle est la position de votre gouvernement sur ces propos quelque peu diffamatoires ? Comme l'a rappelé notre ministre des affaires étrangères, notre coprésidence nous impose impartialité et neutralité, mais reconnaissez qu'il y a de quoi être choqué par les propos que je viens de rapporter.

M. Pierre Laurent. - Monsieur l'ambassadeur, vous avez confirmé l'existence d'un litige historique, et nous avons entendu une version bien différente de la vôtre juste avant votre intervention. Cependant, vous n'avez pas répondu aux questions qui nous occupent aujourd'hui. Pourquoi la guerre a-t-elle été déclenchée par l'Azerbaïdjan et pourquoi maintenant ? Pourquoi a-t-elle été si violente, et pourquoi des crimes de guerre ont-ils été commis ? Quel rôle a joué la Turquie ? Vous avez évoqué la présence de combattants étrangers qui n'étaient pas djihadistes ; de quels pays venaient-ils alors ?

M. Rahman Mustafayev. - Merci pour ces questions importantes. Il est vrai qu'il règne en ce moment, en Azerbaïdjan, une atmosphère de méfiance à l'égard de la France. Au Parlement, des débats ont eu lieu il y a quelques jours sur le rôle de votre pays. Cependant, le sujet était non pas celui d'un éventuel remplacement de la France par la Turquie à la coprésidence du groupe de Minsk, mais celui du manque de partialité de la France, qui ne joue pas son rôle de médiatrice objective. Votre pays s'est aujourd'hui engagé du côté arménien.

Nous ne sommes pas en faveur d'un retrait de la France du groupe de Minsk, dont notre président a confirmé l'importance, mais il faut que la France soit impartiale. Certes, la Russie a joué un rôle plus important dans la dernière phase de ce conflit mais nous continuons à dialoguer avec les trois coprésidents et, pendant le conflit, le président de mon pays s'est entretenu avec les dirigeants de trois pays-coprésidents, et le ministre des affaires étrangères azerbaïdjanais s'est entretenu à plusieurs reprises avec son homologue français.

Cependant, l'ordre régional évolue et à côté du format défini par le groupe de Minsk s'en impose un autre, avec la Russie et la Turquie. Que vous le souhaitez ou non, la Turquie est aujourd'hui l'un des trois acteurs importants de la région, aux côtés de la Russie et de l'Iran. Enfin, un troisième format de discussion se met en place, rassemblant la Russie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qui ont conclu un accord le 9 novembre.

Je pense que l'on aurait tort d'ignorer ces faits, il faut regarder les choses en face et reconnaître l'efficacité dont fait preuve ces deux formats. Nous continuons néanmoins à dialoguer avec tous, afin de trouver une solution diplomatique à ce conflit.

Je voudrais confirmer une fois encore qu'il n'y a pas de djihadistes syriens au sein des troupes azerbaïdjanaises ; nous n'en avons nul besoin. Notre armée compte 100 000  soldats, officiers et sous-officiers, et nous avons prouvé son efficacité dans les champs de bataille. Aujourd'hui, des militaires des États-Unis ou de l'OTAN affirment qu'il faudra tirer les leçons de cette guerre, dans laquelle l'armée azerbaïdjanaise a usé de nouvelles technologies et mis en oeuvre de nouvelles stratégies.

Pourquoi maintenant ? Si vous aviez demandé au général de Gaulle pourquoi les forces alliées débarquaient à ce moment-là en Normandie et en Provence, il vous aurait répondu que les forces et l'armée étaient prêtes, et que c'était le moment de libérer le pays et le peuple français de l'occupation nazie. C'est la même chose pour nous : nous avons équipé notre armée de façon moderne et, après avoir passé 30 ans à attendre une solution diplomatique qui n'est pas venue, nous étions prêts à libérer notre territoire, utilisant l'article 51 de la Charte de l'ONU.

Dans les régions libérées du Haut-Karabagh, nous avons trouvé des fortifications, des réseaux souterrains, des ouvrages militaires dans lesquels les Arméniens ont investi des millions de dollars, et qui prouvent bien qu'ils n'ont jamais compté rendre ces territoires, malgré leurs affirmations. Cinq lignes de défense protégeaient la ville d'Aghdam, cette ville entièrement détruite lors du premier conflit. La nouvelle stratégie de sécurité nationale adoptée par le Parlement arménien en juillet 2020 prévoyait la consolidation des résultats obtenus lors de la première guerre, ce qui montre aussi que le pays n'avait nullement l'intention de rendre ces territoires.

Je rappelle que le Premier ministre arménien a déclaré que "le Haut-Karabagh c'est l'Arménie et point", méprisant le processus de paix en cours. Comment continuer à dialoguer dans ces conditions ?

De plus, au mois de juillet, l'Arménie a attaqué la ville de Tovuz, située à plus de 200 kilomètres du Haut-Karabagh et dans laquelle se trouvent de nombreuses infrastructures pétrolières et gazières. Le message était clair : si nous ne renoncions pas au Haut-Karabagh, le coeur de nos installations énergétiques pouvait être menacé. Ce sont toutes ces raisons qui nous ont poussés à la contre-offensive.

En décembre 2010, nous avons signé avec la Turquie un "Traité de partenariat stratégique et de l'assistance mutuelle". Selon le deuxième article de ce traité, l'Azerbaïdjan pouvait solliciter la Turquie pour intervenir militairement en cas d'attaque extérieure, mais nous ne l'avons pas fait. Si la Turquie nous a apporté un soutien diplomatique, politique et moral importante, nous n'avons reçu ni troupes, ni mercenaires.

Concernant l'enquête internationale pour crimes de guerre, nous l'appelons de nos voeux. Inviter une commission d'enquête à vérifier les faits sur le terrain est aujourd'hui à notre avantage. Nous voulons montrer au monde entier comment cette barbarie, ce fascisme, ce chauvinisme a détruit la région du Haut-Karabagh et 7 districts avoisinants ! Vous pouvez voir une église orthodoxe détruite par les Arméniens dans un village libéré par l'Azerbaïdjan. (M. l'ambassadeur fait projeter de nouvelles photographies.) Ils n'ont pas seulement détruit les mosquées et nous invitons chacun à venir vérifier et constater ce qu'il est advenu de l'Azerbaïdjan prospère et multiculturel ! Il y a eu crimes de guerre, mais aussi destruction du patrimoine.

Mme Azoulay a proposé que des experts de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) se rendent sur le terrain pour assurer la conservation du patrimoine culturel et religieux. Nous les accueillerons, certes, il faudra définir le format et le statut d'une telle mission et s'entendre sur les zones à couvrir, non seulement le Haut-Karabagh, mais tous les 7 districts avoisinants, qui étaient occupés. Notre objectif principal est d'accueillir ces missions et de monter un dossier pour la Cour internationale de justice, afin de montrer par qui sont commis les crimes de guerre dans cette région depuis trente ans.

Enfin, le président du pays a affirmé à plusieurs reprises que le retour des Arméniens serait la prochaine étape, après l'arrêt des combats et le retrait des forces d'occupation. Nous considérons les Arméniens de cette région comme des citoyens d'Azerbaïdjan, et tous nos citoyens sont égaux, quelles que soient leur ethnie et leur religion. D'ailleurs, quelques milliers d'Arméniens sont déjà revenus. Bien sûr, les Azerbaïdjanais reviendront eux aussi. Il faudra ensuite rétablir les liens sociaux, économiques et culturels entre les deux communautés, et travailler à retrouver une vie normale. J'espère que nous parviendrons à trouver la bonne formule pour établir une paix durable.

M. Ronan Le Gleut. - La négociation du cessez-le-feu s'est faite en dehors du groupe de Minsk et sous l'égide des puissances régionales turque et russe. L'arrêt des hostilités était une priorité au regard des conséquences dramatiques pour les populations, au sujet desquelles nous nourrissons de profondes inquiétudes. Sur l'avenir des populations des districts devant être restitués, nous avons regretté certaines déclarations faites sur les Arméniens le jour même du cessez-le-feu. Nous espérons que les principes de liberté, de droit, de laïcité et d'égalité, sur lesquels reposent les fondements de l'Azerbaïdjan, auront un écho dans le suivi de l'application des dispositions de cessez-le-feu.

Ce suivi doit être assuré par la Russie et la Turquie, mais pourriez-vous donner davantage d'indications à ce sujet ? Par ailleurs, quels moyens seront mis à disposition d'une éventuelle mission de l'Unesco ? Enfin, le positionnement idéologique et expansionniste de la Turquie ne risque-t-il pas d'altérer les fondations de l'Azerbaïdjan ?

M. André Gattolin. - Le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants auquel j'appartiens n'a pas été associé à l'élaboration de cette résolution, et prendra donc sa propre initiative sur le sujet. La reconnaissance de la République du Haut-Karabagh ne me paraît pas être un objectif politique pertinent dans la situation actuelle. En tout cas, il faudrait alors que notre assemblée fasse preuve du même courage devant la situation en cours à Hong Kong, ou qu'elle adopte une résolution pour reconnaître Taïwan mais, compte tenu des rapports de force, cela semble peu probable.

Certains mots m'ont choqué. Le président azerbaïdjanais a déclaré très récemment que des mercenaires étrangers - parmi lesquels des Français - se trouvaient aux côtés des combattants arméniens. Cette information a été reprise par votre ambassade et vous-même employez à la fois les termes « mercenaire » et « militant ». Je rappelle que mercenaire, qui vient du latin mercenarius, désigne une personne payée pour agir. Vous avez proposé - et je vous en remercie - de fournir une liste de personnes que vous avez identifiées, mais pouvez-vous prouver qu'elles ont été payées ? Je n'ai aucun doute sur le fait que certains militants d'origine arménienne, vivant en France ou ailleurs, se soient rendus sur le territoire du Haut-Karabagh. Je ne les félicite pas, mais je fais la différence avec des mercenaires sans état d'âme, inspirés par le seul profit.

M. Jean-Noël Guérini. - L'Arménie est une terre chrétienne. Quels gages apportez-vous pour que ce conflit millénaire qui oppose Azéris et Arméniens ne soit pas envenimé par des oppositions culturelles et religieuses ? « Malheur au vaincu », dit-on au lendemain des conflits ; allez-vous accepter que la communauté internationale fasse mentir cet adage, et serez-vous aux côtés de celles et ceux qui entendent sauver le patrimoine culturel arménien du Haut-Karabagh ?

Enfin, pourriez-vous expliquer les propos tenus par le président Aliyev sur la chaîne Al-Arabiya le 5 octobre dernier, invitant le président Macron à élever la ville de Marseille, où j'habite depuis 1956, en République du Haut-Karabagh ? A-t-il été mal traduit ? Est-ce de l'humour azéri ou du mépris pour les Français, les Marseillais et les Arméniens ?

M. Joël Guerriau. - Vous représentez un beau pays et je sais combien votre histoire est complexe. L'irruption de la guerre en 1988 a été particulièrement marquante et a bouleversé la vie de nombreuses familles azerbaïdjanaises. Toute une génération a été élevée dans le souvenir de cette guerre, parfois instrumentalisé par des responsables politiques qui s'égaraient et tenaient des propos quelque peu haineux à l'égard des Arméniens, propos que l'on pouvait aussi entendre à l'école ou dans les médias, et qu'il faut comprendre au regard de ce qu'a été ce conflit.

La haine perdure, et elle semble avoir conduit dans le conflit récent à des tortures, des exactions commises contre civils et militaires, diffusées sur les réseaux sociaux par les criminels eux-mêmes. Ces actes barbares sont d'autant plus effrayants qu'ils illustrent une sorte de pugnacité à exprimer cette haine ethnique. C'est bien là ce qui nous fait peur, et nous a poussés à tenter de trouver une solution pour faire renaître un climat de paix. Comment envisagez-vous que les populations arméniennes du Haut-Karabagh puissent vivre en sécurité si ce contexte de haine ethnique perdure ?

M. Guillaume Gontard. - Dans une guerre, les choses sont complexes et rarement binaires. Vous avez expliqué avoir fait cette guerre pour récupérer ce territoire, mais pourquoi alors avoir signé un accord de paix y limitant de facto votre progression, si votre domination militaire était si évidente ? Faut-il voir là un lien avec la Turquie ? Quel sera le statut administratif attribué par l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh ? Les institutions démocratiques qui y fonctionnent depuis vingt-cinq ans seront-elles maintenues ? Enfin, vous avez évoqué votre souhait d'un retour des réfugiés ; comment votre pays compte-t-il intégrer les populations du Haut-Karabagh, et comment peut-il faire en sorte que la cohabitation soit pacifique et que la sécurité de tous soit assurée ?

M. Rahman Mustafayev. - Le sujet du retour concerne toutes les populations déplacées, qu'elles soient azerbaïdjanaises ou arméniennes.

Quant à la mission de l'Unesco, il faut réfléchir à ses modalités. En tout cas, nous sommes disponibles pour accueillir cette délégation, pas pour soutenir l'inventaire, mais pour identifier des dommages subis pour les biens culturels, dans les lieux de culte notamment, églises et mosquées, dans tous les districts.

Vous évoquez la question de notre alliance avec la Turquie. La République azerbaïdjanaise est une République laïque et présidentielle, tout comme la Turquie, et nous sommes partenaires dans plusieurs domaines, l'Azerbaïdjan étant notamment l'investisseur important dans l'économie turque. Nous réalisons de nombreux projets dans le domaine de la culture, des sciences, de la défense, deux pays disposent de nombreux traits communs. L'Azerbaïdjan cohabite et coopère avec divers pays de cette région : l'Arabie saoudite, Israël, l'Iran, le Pakistan, la Russie.

Je rappellerai que la capitale de l'Azerbaïdjan, Bakou, a été choisie par les états-majors américains et russes pour leur rencontre annuelle en 2017 et 2018. Ces deux pays nous respectent. Ils apprécient notre politique étrangère équilibré, qui vise à maintenir la stabilité dans la région.

La France peut soutenir le processus de paix et de coopération dans cette région, non pas en adoptant une résolution injuste, comme celle que vous allez soumettre au vote demain, mais par votre volonté de créer une ambiance de coopération, de dialogue et de développement. La France est une grande puissance européenne, membre de l'OTAN, de l'Union européenne (UE) et du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle dispose du potentiel et des ressources nécessaires pour aider à la stabilité et à la sécurité de cette région. Mais il faut impartialité.

Nous sommes préoccupés non pas par le résultat du vote, mais par le fait que la France peut perdre l'Azerbaïdjan, alors qu'elle a toujours été appréciée et respectée par mon pays. Nous avons créé une université et un lycée franco-azerbaïdjanais et un quartier de la ville de Bakou est de type haussmannien. Notre respect pour la France était visible partout en Azerbaïdjan.

Nous ne devons pas mettre à mal cette amitié scellée en décembre 1993, par le président François Mitterrand et notre président Heydar Aliyev, lors de la signature d'un Traite d'amitié, d'entente et de coopération entre nos deux pays.

Nous devons suivre ce chemin de la confiance et de la coopération. Perdre cette confiance serait une tragédie. La France peut encore sauver la situation, en démontrant son impartialité et en agissant en médiatrice objective en vue d'instaurer un dialogue, une coopération et la stabilité régionale.

Nous avons saisi les autorités judiciaires françaises afin d'ouvrir une enquête sur les Français d'origine arménienne et les Français d'extrême droite qui ont combattu dans les forces arméniennes, en violation du droit français. Je ne connais pas les raisons qui ont poussé ces personnes à combattre, mais quoi qu'il en soit, participer à des combats dans un pays étranger est un crime de guerre selon le code pénal de la République française.

Par ailleurs, quelles garanties pouvons-nous apporter quant à la coexistence de nos deux peuples ? Je rappellerai d'abord que quelque 30 000 Arméniens vivent en paix en Azerbaïdjan. Qu'un missile arménien ait détruit une maison où habitaient des Arméniens est une ironie. Tout comme le fait que ce soit un médecin azerbaïdjanais qui ait sauvé la vie d'un vieil homme blessé. Ensuite, une communauté arménienne vit à Bakou, où une église arménienne se situe dans le centre-ville.

Je sais qu'il faudra du temps pour que disparaisse ce sentiment de haine et de mépris entre nos peuples. Mais nous pouvons y arriver, car nous avons une histoire commune. Avant le conflit, l'Azerbaïdjan était le deuxième pays au monde à accueillir la plus grande communauté arménienne, après les États-Unis - environ 400 000 Arméniens. Ils ont quitté le pays lorsque les séparatistes ont déclenché le conflit. Ces Arméniens ont contribué au développement de l'Azerbaïdjan et sont nostalgiques de cette époque.

M. Christian Cambon, président. - Nous vous remercions d'avoir accepté cet exercice, et d'avoir noté que le Sénat a souhaité vous recevoir. Il s'agit d'une marque particulière de cette maison, qui consiste à parler à tout le monde et à offrir la possibilité de s'expliquer.

Concernant l'amitié franco-azerbaïdjanaise, je l'ai dit dans mon propos liminaire, les relations entre nos deux pays sont importantes et concernent de nombreux domaines.

Nous souhaitons que l'Arménie et l'Azerbaïdjan signent un jour un accord de paix, malgré l'histoire très complexe qui vous unit et les drames et les tragédies qui vous ont touchés. Tous ces monuments qui ont été détruits de part et d'autre sont de nature à nous inquiéter.

Nous souhaitons que le Sénat aiguillonne le Gouvernement français pour qu'il devienne un acteur de la paix. Voilà presque trente ans que le groupe de Minsk a été créé ; malheureusement, aucune solution satisfaisante n'a été trouvée. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons pousser l'exécutif français à prendre des initiatives. Tel est l'objectif de cette résolution.

Nous sommes attachés à maintenir des relations de qualité avec votre pays, comme avec l'Arménie, et à contribuer autant que faire se peut à la paix. Le monde traverse une crise terrible, avons-nous vraiment besoin d'une nouvelle source de conflit, alors que nous devrions nous unir pour lutter ensemble contre la pandémie ?

Monsieur l'ambassadeur, vous aurez l'occasion de revenir devant cette commission pour faire le point sur la situation. Nous espérons sincèrement que des éléments viendront alimenter vos souhaits de voir s'instaurer la paix. La démarche pacifique du Sénat va en ce sens.

La réunion est close à 18 h 20.

https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20201123/etr.html?fbclid=IwAR2XVpkR8DXc7TmtnVERdl3hkJFaB4aroNiCbbGDy0xxfbikP_cxoaFpSTc