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mardi, septembre 22, 2020

Le Prix International Hrant Dink 2020 décerné à Osman Kavala

 

OsmanKavala: "Ces derniers temps, dans ma cellule en prison, je ressens plus que jamais le besoin de la compagnie de Hrant. Ce prix nous rapprochera encore davantage."


 

Info Collectif VAN - www.collectifvan.org – Le 12e prix international Hrant Dink,  a été décerné au philanthrope Osman Kavala, injustement emprisonné depuis bientôt 3 ans. La cérémonie de remise de prix était organisée le 15 septembre, le jour de l’anniversaire de Hrant Dink, journaliste, écrivain arménien de Turquie assassiné en 2007 par un nationaliste turc de 17 ans dans le quartier d'Osmanbey à Istanbul, devant les locaux de son journal bilingue Agos. Ce prix récompense ceux qui prennent des risques pour faire progresser la tolérance. Le Collectif VAN vous présente ci-dessous la traduction en français du texte intégral de la lettre d'Osman Kavala de la prison qui a été présentée lors de la cérémonie, publiée sur le site Free Osman Kavala.

 

Publié le 22 septembre 2020

Free Osman Kavala

 


 

La lettre d'Osman Kavala

C’est un très grand honneur pour moi d’avoir été jugé digne de recevoir le prix Hrant Dink. Je tiens tout d’abord à remercier très chaleureusement les membres du jury. Ces derniers temps, dans ma cellule en prison, je ressens plus que jamais le besoin de la compagnie de Hrant. Ce prix nous rapprochera encore davantage.

Je ne suis pas, comme Hrant et comme les défenseurs de droit que je suis fier d’avoir connu certains, quelqu’un qui a consacré sa vie à la lutte pour les droits et les libertés. Mais je peux dire que dans tout ce que j’ai entrepris, je me suis efforcé à respecter le principe d’égalité et ai cherché à sensibiliser aux droits humains et aux droits des minorités. Je crois vraiment que l’on peut dépasser par la raison, par l’écoute et le dialogue, les préjugés existants entre les différentes parties d’une société et entre ceux qui vivent dans des pays différents. Dans Anadolu Kültür nous avons collectivement, avec mes amis, pu réaliser une série de projets qui répondaient, je crois, à ces objectifs.

Le fait que certaines initiatives auxquelles j’ai participé n’aient pu avoir tout l’effet escompté ou que des évolutions ultérieures aient pu faire oublier cet effet créent néanmoins une déception.

Notre cœur saigne devant ces jeunes qui s’entretuent en Anatolie du sud-est, en Syrie, en Irak alors qu’ils auraient pu facilement devenir amis dans d’autres circonstances, dans un contexte où règneraient l’égalité et la liberté. Je suis peiné que notre frontière avec l’Arménie reste toujours fermée et que l’on ne puisse pas partager la mer Egée et la Méditerranée, sources d’une culture commune.

Mais je ne désespère pas. Dans plusieurs villes que j’ai fréquentées pour différents travaux, à Diyarbakir, à Batman, à Van, à Thessalonique, à Beyrouth, à Erevan, j’ai connu des jeunes, des artistes et des penseurs, convaincus que la raison et la conscience humaines sont communes, défendent la paix et l’égalité. C’est là la source principale de mon optimisme.

En ce moment, pour moi et comme pour plusieurs de nos citoyens, la question brulante est l’effritement de l’État de droit, pilier de la République.

A la suite de la proclamation de l’état d’urgence aux lendemains de la tentative du coup d’Etat de 15 juillet, l’utilisation de la justice pour punir des personnes et des groupes ciblés est devenue une pratique courante comme auparavant ce fut le cas dans les procès Ergenekon, Balyoz et KCK. Officiellement l’état d’urgence a été abrogé mais le climat d’état d’urgence perdure. La justice n’est pas rendue selon les normes du droit mais plutôt en lien avec les priorités politiques et les instructions du pouvoir et l’on considère cela comme normal.

Etablir la culpabilité d’un individu à partir de l’analyse objective de faits concrets est une règle impérative de la pensée rationnelle. Quand cette règle n’est pas respectée, la perception de la réalité peut être facilement manipulée.

Sans perdre de vue que la grande majorité de ces pratiques illégales et de violations de droits concernent des personnes inconnues par l’opinion publique, je voudrais rappeler quelques incidents récents.

Selahattin Demirtaş a été arrêté de nouveau sur la base d’une nouvelle accusation qui s’appuie sur des preuves qui figuraient déjà dans le dossier d’investigation ayant pourtant abouti à sa libération, après la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme.

A la suite de la décision de cassation de la peine de prison à perpétué prononcée contre lui, Ahmet Altan a néanmoins été condamné de nouveau à une lourde peine, pour avoir aidé et soutenu une organisation. Mais libéré, il q été de nouveau incarcéré suite à une ordonnance du tribunal qui a outrepassé son mandat.

Le maire de Diyarbakır, Selçuk Mızraklı, a été arrêté sur la base des déclarations d’un témoin informateur et a été condamné à une peine de prison de neuf ans et quatre mois.

Les journalistes Barış Terkoğlu, Barış Pehlivan, Murat Ağırel, Ferhat Çelik, Müyesser Yıldız, Aydın Keser et Hülya Kılınç ont été incarcérés pour avoir publié une information qui avait déjà été rendue publique.

Le président de l’Association des juristes progressistes Selçuk Kozağaçlı et les avocats membres de cette association ont été arrêtés à nouveau immédiatement après leur libération. Suite à l’affectation à d’autres tribunaux des juges qui avaient décidé de leur libération, ils ont été condamnés à de lourdes peines sur la seule base des accusations formulées par des témoins anonymes et des informateurs.

Le plus douloureux est de voir mourir ceux qui renoncent à la vie pour protester contre l'illégalité. Le fait que des demandes de procès équitable portées par les avocats Ebru Timtik et Aytaç Ünsal n'aient pas eu de réponses pendant si longtemps, n'est pas seulement une indication de l'érosion des normes juridiques, mais aussi de la valeur attribuée à la vie humaine.

Le fonctionnement de la justice à partir de normes juridiques universelles est également important pour unir autour de valeurs éthiques communes ceux qui ont des croyances et des pensées différentes. Sinon la banalisation du non-droit conduit à s’y habituer. Dans ce cas, les gens ne réagissent plus que quand eux, leurs proches ou les membres de leur communauté de croyance subissent l’injustice. Ce comportement constitue aussi une barrière contre la confrontation avec les véritables crimes commis dans le passé.

Pour autant, je n’ai pas perdu l’espoir ; car ceux qui refusent de s’habituer à cette situation constituent une force non négligeable. De nos jours, tant les acteurs politiques que les organisations de la société civile semblent mieux comprendre le fait que l'indépendance du pouvoir judiciaire et son adhésion aux normes juridiques fondamentales sont les premiers et les plus importants prérequis de la démocratie.

Que des politiques et des chroniqueurs qui ne pensent pas comme moi aient pu objecter contre ce qui m’arrive, m’aident à être optimiste pour la réalisation d’une vraie réforme de la justice dans notre pays.

Si la période de production de crimes virtuels prend fin, j’ai l’espoir que les conditions d’une vie commune saine seront réunies.

J’envoie mes salutations les plus chaleureuses à la Fondation Hrant Dink et aux anciens et nouveaux amis de Hrant.

http://www.osmankavala.org/en/statements-about-osman-kavala/1210-the-2020-international-hrant-dink-award-goes-to-osman-kavala?fbclid=IwAR3uoRkwJq-F1Ckp5UJvsWiZBB8wMTvZ9qj-i-o9oxOv1SfIKqACvi63uyA